Des visiteurs inattendus dans les Écrins

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Deux ibis chauves ont fait une pause à proximité du lac de Serre-Ponçon, à Crots. Ces oiseaux font partie d'un programme de réintroduction alpin porté par l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie. Dans les Hautes-Alpes, ils se sont arrêtés sur un site d'étape migratoire bien connu.

C'est en rentrant du comptage « bouquetins » du Briançonnais, jeudi 7 novembre, qu'Éric Klamm accompagnateur en montagne, a appelé le secteur de l'Embrunais pour signaler la présence de deux ibis noirs, à proximité du lac de Serre-Ponçon, sur la commune de Crots.

Damien Combrisson et Martial Bouvier, gardes-moniteur du secteur se rendent sur place et, après quelques temps de recherche, retrouvent les oiseaux peu avant la tombée de la nuit. Observés à la longue vue, le verdict est sans appel : il s'agit de deux ibis chauves (Geronticus eremita) !

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L'ibis chauve est une espèce aujourd'hui confinée au Maroc (environs 500 individus) et en Syrie où il a été redécouvert en 2002 (moins de 10 oiseaux).
A l'origine, la distribution de cette espèce s'étendait au proche et moyen orient, en Europe méridionale ainsi que dans les Alpes.
Au 16ème et 17ème siècles, ils se reproduisaient dans le sud de l'Allemagne (Kelheim, Passau) en Autriche (Salzbourg, Graz) et en Suisse. C'est l'oiseau le plus menacée du paléarctique occidental avec un peu plus de 100 couples seulement présent à l'état sauvage.

Classé en danger critique d'extinction au niveau mondial par l'UICN, l'Ibis chauve est un oiseau sociable vivant dans les zones arides ou semi-arides, se nourrissant principalement d'insectes et de petits vertébrés, et nichant dans des falaises. Les causes de sa disparition à l'état naturel sont liés à la destruction de son habitat, à la chasse, aux dérangements et à l'intensification de l'agriculture.

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« Le lendemain, nous retrouvons les oiseaux à Crots qui s'alimentent, en majorité de ver de terre, dans la prairie en bordure du lac en compagnie des moutons » raconte Damien Combrison. « Les deux ibis sont bagués et nous relevons les codes couleur afin de déterminer leur origine, des dossards de couleur sont également visibles lorsque les oiseaux se toilettent.

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Le même jour nous faisons la connaissance de Corinna Esterer, étudiante allemande en biologie qui assure le suivi au sol des ibis qui sont équipés d'un système de localisation par satellite (les fameux dossards que nous avions observés). Nous apprenons ainsi que ces oiseaux font partis d'un programme de réintroduction de l'espèce entre l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie.»

Le mâle âgé de 2 ans se prénomme Tara, la femelle, nommée Amsel, n'a que 7 mois environ.
Depuis le 2 novembre, ces deux oiseaux séjournaient sur l'aéroport de Chambery au Bourget du lac avant de rejoindre les Hautes-alpes, le jeudi 7 novembre, effectuant ainsi un vol de près de 180 km entre ces deux étapes.

Le programme de réintroduction alpin

La Waldrapp research team et l'Université de Vienne ont construit un centre d'élevage près de Burghausen en Bavière, au cœur de l'aire historique de l'espèce en Europe. L'objectif est d'établir des noyaux de populations dans les Alpes qui hiverneraient dans le sud de la Toscane. Mais les oiseaux élevés en captivité doivent apprendre à suivre leur voie de migration ancestrale entre les Alpes et l'Italie. C'est en 2007 que les premiers oiseaux nés en captivités vont prendre leur envol depuis l'Allemagne et l'Autriche pour suivre l'ULM de l'équipe du Waldrappteam afin d'être guidé lors de la migration vers le sites d'hivernage Italien. De 2014 à 2019, un programme LIFE assurera la continuité du travail actuel et devrait permettre la réintroduction de 119 oiseaux.

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Un site d'étape migratoire déjà bien connu dans l'Embrunais

L'observation de deux ibis chauve dans les Écrins est un événement exceptionnel. La précédente observation de cette espèce en France date de 2011 en Ardèche où un jeune ibis chauve, également issu du programme de réintroduction alpin, avait été observé. Celui-ci sera retrouvé malheureusement électrocuté quelques temps plus tard.
La première observation française concerne un oiseau échappé de captivité, observé dans le Bas-Rhin en 1996.
La zone de Liou qui englobe une partie de la commune de Crots est un site déjà bien connu pour son rôle d'étape migratoire pour l'avifaune. « C'est le secteur du parc ou nous observons la plus grande diversité spécifique grâce notamment à l'entonnoir naturel formé par la queue du lac de Serre-Ponçon ainsi qu'à l'alternance de milieux naturels particulièrement attractifs (ripisylves, prairies humides et pâturage dégagé) » explique encore Damien Combrisson.
Le Parc national des Écrins en collaboration étroite avec le Syndicat Mixte d'Aménagement et de Développement de Serre-Ponçon (S.M.A.D.E.S.E.P.) et le conseil général (notamment par la mise en place de la politique sur les espace naturels sensibles) portent ensemble la volonté de valoriser cette zone à forts enjeux écologiques.

Des signes encourageants pour une installation naturelle en Europe

Pour la première fois depuis 500 ans (quand l'espèce nichait encore dans les Alpes), une colonie nicheuse naturelle d'Ibis chauves s'est installée en Europe dans le parc naturel de « La Breña y Marismas de Barbate » en Espagne dans la région de Cadix - Andalousie. Ces trois couples installés en 2011 sont issus du programme de réintroduction « le Proyecto Eremita,» qui a débuté en 2003 en collaboration avec le Zoobotánico de Jerez et le soutien scientifique de l'Estación Biológica de Doñana (CSIC) et l'International Northern Bald Ibis Group (IAGNBI), au cours duquel plus de 60 oiseaux ont été réintroduits.

Pour en savoir plus :

Programme de réintroduction alpin :
http://www.waldrapp-burghausen.de/