Etudier la sédimentation du Lauvitel pour retracer son histoire

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Carottes de sédiments et lac Lauvitel ©Parc national des Ecrins

Utiliser les sédiments lacustres pour retracer l’histoire du vallon du Lauvitel. C’est l’objectif de l’étude menée par le laboratoire EDYTEM de l’Université Savoie Mont Blanc, dans le cadre de la thèse de Laurent Fouinat. Les scientifiques ont cherché à mettre en évidence les changements globaux, regroupant la variabilité climatique et les pratiques humaines, ayant influencé l’érosion autour du lac Lauvitel durant les derniers millénaires.

Tout au long de leur parcours sur un bassin versant, les eaux se chargent de sédiments. Quand une rivière rejoint un lac, ces sédiments se déposent au fond de ce dernier. Les couches successives de sédiments s'accumulent, formant ainsi une véritable « archive naturelle » des changements passés à l'échelle locale.

L’équipe du laboratoire EDYTEM a cherché à décrypter ces archives, par différentes méthodes expérimentales.

Le prélèvement des archives

Carottage ©PNE

Première étape pour retracer l'histoire du bassin Carottage ©PNE versant : prélever le sédiment. Des carottages ont donc été réalisés. Au total, environ 15 m de sédiments ont été extrait au fond du lac, représentant autant de mètres d’archives qu’il faut ensuite décrypter...

Fait singulier, la présence dans les carottes de nombreux graviers granitiques de grosse taille (plus de 2 cm) contraste avec les sédiments fins normalement retrouvés dans les lacs. Les spécialistes ont naturellement supposé qu’ils provenaient d’avalanches et ont cherché à quantifier ce flux de matières grossières. Ils ont réussi à identifier les couches successives de graviers déposés lors de chaque avalanche, par l’intermédiaire de l’utilisation d’un scanner à rayon X hospitalier.

Déterminer la provenance des sédiments remplissant continuellement le Lauvitel

Bathymétrie sismique ©PNE

Il a ensuite été nécessaire de bien comprendre quels processus sous-tendent le remplissage du lac par les sédiments. Pour cela, les scientifiques ont réalisé une bathymétrie sismique. Cette technique consiste à émettre une onde sonore depuis un radeau à la surface du plan d'eau, onde qui est ensuite reflétée par les zones de différentes densités de la couche sédimentaire en direction de la surface. Elle est finalement réceptionnée par un géophone. On peut ainsi cartographier la répartition du remplissage sédimentaire et sa continuité spatiale.

Il a donc été observé que le remplissage se produit essentiellement dans la partie sud du lac, du côté de la réserve intégrale. L'épaisseur du sédiment y est plus importante, atteignant jusqu'à 15 mètres.  C'est à cet endroit que se jette le ruisseau du petit Embernard, on y trouve un delta attestant d'une accumulation de sédiments caractéristique d'un apport régulier.

Sédiments sur la plage Nord du Lauvitel ©Parc national des Ecrins, EDYTEM

Les scientifiques ont également réalisé des prélèvements de sol dans le bassin versant et aux abords de trois ruisseaux afférents (Plan Vianney, Petit Embernard, Héritière) pour identifier la provenance des particules sédimentaires. Des analyses granulométriques et géochimiques de ces échantillons ont été effectuées afin d'identifier des critères de distinction. Ainsi, les particules provenant de Plan Vianney présentent un excès de zinc par rapport aux autres sources.

Ils ont ainsi pu déterminer que la sédimentation continue est caractérisée par un apport à la fois des ruisseaux de Plan Vianney, qui présente un excès en zinc, et du Petit Embernard, qui présente un delta caractéristique.

Crues et avalanches, évènements extrêmes favorables à la déposition évènementielle de particules

Par ailleurs, le lac a fait l'objet d'un suivi instrumental. La station météo et le suivi de la colonne d'eau par sonde multiparamétrique et capteurs de température ont permis de mettre en évidence les facteurs favorables à la déposition événementielle de particules.

Installation de la sonde multiparamétrique ©Parc national des Ecrins

Les crues sont le vecteur majeur du transport de matières fines lors de gros épisodes pluvieux. Les phénomènes de ruissellement et de pluies intenses sont d’autant plus importants lors de périodes de réchauffement au cours du temps.

Les épisodes d’avalanches de neige lourde créent d'importants flux de matières grossières. Elles ont été retracées durant les 3 500 dernières années, avec 166 évènements dénombrés. On a ainsi pu observer que leur fréquence augmente simultanément lors de périodes de retraits glaciaires et lors d’une baisse du couvert végétal. Dans le premier cas, les facteurs climatiques ont pour effet d’augmenter le nombre de coulées de neiges lourdes en relation aux températures printanières plus élevées. Dans le second, le couvert forestier plus dense permet de réguler les avalanches tout particulièrement sur les pentes les plus raides. Dans un contexte de réchauffement climatique et de changement rapide de la cryosphère, il apparaît important de mieux comprendre ce qui influence la fréquence des avalanches afin de mieux les prédire.

Avalanche printanière ©PNE

Avalanche printanière ayant déferlé sur le lac le 1er mai 2015

Influence des activités humaines sur les flux de matières lors d'évènements extrêmes

On retrouve dans les archives sédimentaires des traces de l’activité humaine par identification et comptage de pollens. La présence de pollens typiques de la culture de la terre et du pastoralisme sont la preuve d’une activité humaine passée dans le vallon ou aux alentours.

Les activités humaines ont vu leur intensité varier au cours des derniers millénaires. D’après la palynologie (étude des pollens), elles furent plus importantes de la fin de l’Age de Fer jusqu’à la période romaine, soit de 600 à 50 av. J-C , puis du haut Moyen Age jusqu’au 19e siècle, soit de 400 à 1900 après J-C. La présence de l’Homme dans le vallon se traduit souvent par un recul de la forêt, dont l’espace libéré est favorable aux activités d’élevages bovins/caprins et de culture de la terre.

Au 12e siècle, le vallon du lac de Lauvitel connaît un changement brusque du couvert forestier en lien avec les activités humaines. A la suite de cet épisode, le nombre d’avalanches a augmenté de manière significative et pérenne, démontrant ainsi le fragile équilibre des phénomènes naturels en montagne vis-à-vis des changements environnementaux.

Aujourd'hui, la partie Nord du vallon est classée en réserve intégrale, la présence de l'homme y est donc strictement contrôlée.

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