Les bergers d’appui, kézaco ?

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Troupeau de brebis © M. Coulon - PNE
Confrontés à la prédation du loup, les éleveurs et bergers du cœur du parc national peuvent bénéficier depuis 3 ans du soutien de bergers d’appui. Tour d’horizon des missions de ces renforts discrets mais efficaces !

3 bergers d’appui pour 18 alpages

Romane Bonnelle, chargée de mission pastoralisme, prédation et tourisme au Parc national, nous raconte l’origine du dispositif. « On a mis en place les bergers d’appui dans les Écrins en 2020 sur le modèle du Parc de la Vanoise. L’idée était de venir soulager les bergers par rapport à l’interdiction des tirs en cœur de parc et aux contraintes liées au loup, comme les parcs, les chiens de protection et leur nourriture à monter en alpage. » Une expérimentation à la base, mais qui a rapidement convaincu les éleveurs et les bergers qui ont adhéré au dispositif. « On espère que cela donnera des idées à d’autres territoires », sourit Romane.

Troupeau dans le Valgaudemar © T. Blais - PNE

Cet été, font partie du dispositif 18 alpages entre lesquels gravitent Marius pour le Valgaudemar, Lenny pour l'Embrunais, le Briançonnais et la Vallouise, et Kevin pour l’Oisans et le Valbonnais.

Un rôle adaptatif et polyvalent

Difficile de résumer le travail de berger d’appui, tant les tâches peuvent différer selon l’alpage et le contexte. « Les années se suivent mais se ressemblent pas forcément », raconte Kevin, berger d’appui dans l’Oisans et le Valbonnais depuis 3 ans. « L’année dernière, il y a eu souvent du brouillard et des attaques, et mon travail consistait surtout à retrouver les brebis manquantes. Là, on est dans une période tranquille, il fait beau et il n’y a pas eu d’attaque pour le moment. Je me partage entre rive droite et gauche du vallon de la Lavey [dans l’Oisans], surtout pour de l’aide logistique aux bergers (port de filets, de sacs de croquettes, de provisions…). »

Sur l'alpage de Bertrand © I. Miard - PNE Car le portage, aussi trivial que cela puisse paraître, est un coup de main bienvenu pour les bergers. « C’est un soutien physique et psychologique, explique Kevin. Les reliefs sont marqués dans les Écrins. C’est fatigant de mettre en place des dispositifs de protection, car tout est porté à dos d’homme. Un filet par exemple pèse entre 5 et 10 kilos, et il faut un minimum de 3 filets pour parquer les bêtes la nuit. On comprend vite pourquoi c’est difficile d’assurer la logistique de tout ça seul. »

Et en cas d’attaque, le rôle du berger d’appui peut devenir crucial. « Dans les alpages avec quelques centaines de brebis, on n’a pas forcément besoin d’être deux, remarque Kevin. Mais dans les moments d’attaques, il faut à la fois rechercher et rassembler les bêtes manquantes, aider les gardes qui viennent faire les constats et garder le troupeau qui peut être agité et dur à parquer. Comme c’est dur de se dédoubler, sourit Kevin, c’est confortable quand quelqu’un vient prêter main forte. »

Sur l'alpage de Bertrand © I. Miard - PNE Si la période est calme pour le moment, Kevin, tout comme ses deux collègues, doit être disponible en cas d’urgence sur un autre alpage. Au fil des ans, la confiance s’est installée, comme l’explique Kevin : « Maintenant, les bergers me contactent souvent directement par téléphone. Avant, c’était plutôt les éleveurs en fonction des besoin. Je vois bien que pour certains, ce dispositif est utile. Cela montre aux éleveurs et aux bergers qu’il n’est pas plus difficile de faire du pastoralisme ici qu’ailleurs. C’est même plus facile avec l’interdiction des chiens de compagnie. »

Des profils variés

Si certains bergers d’appui sont des bergers professionnels, comme Lenny dans le Briançonnais et la Vallouise, cela n’est pas forcément systématique. « Il y a un côté humain très fort dans ce boulot, explique Romane Bonnelle, il n’est pas fait pour tout le monde. C’est un profil couteau suisse qu’on recherche, entre deux métiers. » Kevin en est le parfait exemple, lui qui était secrétaire de mairie à Villard-Reymond avant de devenir berger d’appui. « Je ne suis pas berger moi-même, même si j’ai une appétence pour le pastoralisme et que j’ai une chienne de travail. J’étais peu expérimenté avant de commencer mais comme le poste est atypique, c’est une force pour apprendre car il n’y a pas un alpage, un berger ou un éleveur identique ».

Troupeau de brebis à la chaume © M. Coulon - PNE

Le maître-mot du berger d’appui n’est donc pas tant l’expérience que la flexibilité. « C’est indispensable de s’adapter au territoire où on intervient et de moduler nos tâches en fonction, résume Kevin. « Je m’adapte aussi au rythme des bergers, qui n’est pas forcément le mien. »

Parole à Bertrand, berger en rive gauche de la Lavey

Kevin, à gauche, et Bertrand, à droite, devant la cabane héliportable du lac des Bèches © I. Miard - PNE Présent sur cet alpage pour le 3e été consécutif, Bertrand raconte : «  J’ai fait ma 1ère année ici sans berger d’appui. L’année dernière, j’étais réticent, j’estimais que je n’avais pas besoin d’aide. Et puis il y a eu une grosse attaque plus bas, avec au moins 12 brebis mortes. Kevin est monté pour aider à faire le constat et finalement, c’était bien de l’avoir ! Après l’attaque, on passe du temps à chercher les cadavres. Et comme je n’avait pas réussi à parquer, les brebis étaient partout. Avec Kevin, on se relayait pour garder le troupeau pendant que l’autre cherchait et rassemblait les autres morceaux du troupeau. C’était des périodes très stressantes, où je ne dormais que d’une oreille et je me réveillais au moindre bruit. Parfois, on se sent coupable de l’attaque et c’est bien d’en discuter avec quelqu’un, de sentir qu’on a quelqu’un avec soi. »

Kevin, à gauche, et Bertrand, à droite, devant la cabane héliportable du lac des Bèches © I. Miard - PNE Une expérience qui l’a amené à changer de point de vue. « Du coup, j’ai une approche du dispositif très différente cette année, j’intègre Kevin dans mon organisation ! Cet été, il m’a aidé à monter le troupeau et tout le matériel. Et si jamais il y a une attaque qui arrive, je sais qu’il peut intervenir. » Et comme le répète Bertrand, pour être un bon berger d’appui, « il ne faut pas juste être berger, cela dépend de la personne. Kevin a de l’humilité dans son rôle, c’est quelqu’un avec qui tu te sens en confiance, qui n’est pas donneur de leçons. Je n’ai aucun problème à lui laisser mon alpage en cas de besoin. »