Coup de chaud sur les lacs des Écrins

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La canicule et la sécheresse exceptionnelles de cet été laissent des traces partout, en plaine comme en montagne. Lacs d’altitude, zones humides, cours d’eau... : tous les milieux aquatiques du massif des Écrins subissent les impacts de cette météo.

Un niveau des lacs à la baisse

Lors de leurs tournées régulières, les agents du Parc national n’ont pu que constater la baisse continue du niveaux des lacs et des zones humides depuis le printemps. Sur le plateau d’Emparis par exemple, Manon Garnier, garde monitrice dans l’Oisans, a noté lors de sa visite le 17 août dernier l’assèchement de 4 des 6 étendues d’eau présentes dans le secteur. Quant aux lacs Noir et Lérié, elle estime que leur niveau d’eau a baissé d’au moins 50 cm depuis la fin mai.

Le lac Noir le 29/05/22 © M. Garnier - PNE Le lac Noir le 16/08/22 © M. Garnier - PNE

Le lac Noir le 29 mai 2022 (en haut) et le 16 août (en bas)

Le lac Cristallin le 11/06/22 © M. Garnier - PNE Le lac Cristallin le 16/08/22 © M. Garnier - PNE

Le lac Cristallin le 11 juin 2022 (en haut) et le 16 août (en bas)

Même constat sur le plateau du Taillefer, où 3 des 9 étendues d’eau visitées étaient à sec le 17 août et où la baisse du niveau du lac Fourchu est estimée à l’œil nu à au moins 40 cm.

Un peu plus à l’est, le lac du Combeynot et ses 16 mètres de profondeur sont à sec depuis la fin juillet, pour la 5e fois seulement en 50 ans. Mais avec une particularité cette année : un assèchement particulièrement précoce par rapport aux précédents qui sont toujours survenus en septembre.

Le lac de Combeynot le 03/08/19 © C. Coursier - PNE Le lac de Combeynot, vide, le 11/08/22 © C. Coursier - PNE

Le lac de Combeynot en août 2019 (en haut) et en août 2022 (en bas)

Pourquoi le niveau d’un lac baisse ?

Le volume d’un lac est stable dans le temps, et dans un fonctionnement normal, les arrivées d’eau sont équivalentes aux sorties. Toutefois, comme c’est le cas depuis plusieurs semaines, il arrive que les apports d’eau soient inférieurs aux exports d’eau. Le niveau d’eau du lac peut alors baisser. Il existe différents types de sorties d’eau d’un lac : par déversement par un exutoire superficiel, ce qui est facilement visible et qui est le cas de la plupart des lacs, par infiltration souterraine, qui dépend de la nature du sol et qui n’est pas forcément visible, et par évaporation, un phénomène qui augmente lorsque les températures de l’air sont élevées et très sèches.

Sur le plateau d’Emparis, les lacs Noir et Lérié ne reçoivent pas d’apports d’eau liés à une fonte des glaciers ou aux restes de névés. L’eau arrive principalement par infiltration et écoulement des zones humides en amont et par les précipitations. Or, les précipitations en 2022 ont été très faibles et les zones humides en amont sont à sec depuis déjà de nombreuses semaines. Lorsqu’on ajoute à cela une évaporation importante, on obtient une baisse importante du niveau des lacs.

Quelles conséquences ?

La baisse des apports d’eau d’un lac va entraîner la baisse des sorties à l’exutoire et donc une baisse des débits dans les cours d’eau en aval. Ce phénomène pouvant se produire en cascade à différents endroits dans un même bassin versant, ce sont tous les débits « finaux » qui sont amoindris. C’est donc la ressource en eau dans sa globalité qui va être impactée.

Pour ce qui est de la vie aquatique, certaines espèces de poissons ou d’amphibiens ne sont pas adaptées à des températures « chaudes ». La truite arrête par exemple de se nourrir si l’eau dépasse une température de 18°C. C’est le cas dans certains lacs de montagne en surface, comme au Lauvitel par exemple. Dans cette situation, elle va chercher, si elles existent, des zones plus profondes où l’eau sera plus fraîche. Si les étendues d’eau sont à sec trop tôt en saison, les amphibiens et certaines espèces végétales n’auront pas le temps d’achever leur cycle de reproduction et finiront par mourir prématurément. Autre impact sur la faune sauvage en général : marmottes, chamois, oiseaux… peuvent avoir des difficultés à trouver des points d’eau pour boire.

Sur le plateau d’Emparis, une augmentation du pH a également été observée entre la fin du mois de mai et le mois d’août : les eaux deviennent davantage basiques. En cause probable, une production importante d’espèces de phytoplancton plus adaptées aux températures chaudes.

Évolution des températures de surface sur les lacs d’Emparis

Évolution du pH de surface dans les lacs d’Emparis

Autre source de déséquilibre pour ces lacs : la présence d’un troupeau de vaches pâturant aux alentours, combinée aux nombreux bivouacs pratiqués sur le plateau, favorise les apports d’azote dans les eaux des lacs. Le risque à terme est de voir se développer des algues vertes et plus largement de perdre la diversité des espèces présentes. Ce risque est d’autant plus élevé quand les lacs n’ont pas d’exutoire : c’est le cas du lac Noir. Les apports en matière organique ne pouvant être évacués, ils se concentrent progressivement dans l’eau.

Paradoxalement, certains cours d’eau des Écrins ne souffrent pas d’une baisse de leur débit, au contraire. Il s’agit des torrents glaciaires, qui sont massivement alimentés par la fonte des glaciers les jours de forte chaleur. Pour l’anecdote, La Grave, Villar d’Arène et les communes du Valgaudemar connaissent des restrictions liées à l’eau bien moindres que plus bas dans les vallées. Mais cette situation pose un autre problème pour la faune aquatique. À cause des nombreux éboulements en lien avec la fonte du permafrost, les torrents glaciaires sont très chargés en éléments fins (terre, poussière, débris de roche), ce qui rend la « respiration » plus difficile pour les poissons.

Confluence entre les torrents du Petit Tabuc et du Glacier du Casset © C. Coursier - PNE

Confluence entre les torrents du Petit Tabuc (eau claire) et du Glacier du Casset (eau chargée en débris)

Reconnaissances par le PGHM sur le glacier du Casset © C. Coursier - PNE

Reconnaissance aérienne par le PGHM pour sconnaître l'origine des éboulements sur glacier du Casset

Pour aller plus loin

Écouter l'interview de Clotilde Sagot, chargée de mission mesures physiques au Parc national, sur la RAM05 : Les lacs d'altitude des Écrins au régime sec