Mission hivernale au lac des Pisses

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Versant est de Roche Rousse vu du lac des Pisses © Rodolphe Papet - PNE
Fin mars, une petite équipe composée de sept scientifiques et agents du Parc national et de l’OFB, s’est rendue au lac des Pisses (Orcières) en ski de randonnée, enneigement oblige. Le but de cette mission : prélever des échantillons de neige, de glace et d’eau, notamment pour détecter la présence éventuelle de polluants chimiques.

Les lacs de montagne concernés par les pollutions d’origine humaine

Le lac des Pisses est le plus haut lac suivi par les agents du Parc national dans le massif. Niché à 2 515 mètres d’altitude dans un creux laissé lors du retrait des glaciers, il présente des eaux froides et transparentes avec une profondeur maximale de presque 8 mètres.

Le lac des Pisses © Thierry Maillet - PNEUn havre de paix, qu’on imagine loin de toute source de pollution. Et pourtant… Peu importe leur localisation et leur altitude, les lacs de montagne « collectent » et concentrent les pollutions atmosphériques et les différents rejets liés aux activités humaines (refuges, pastoralisme, activités de loisirs…).

Une opération millimétrée

Pour en savoir plus sur la présence éventuelle de polluants chimiques et sur le fonctionnement du lac l’hiver, une petite mission scientifique a été organisée le 26 mars dernier sous la houlette de l’IMBE, l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale. Un déplacement moins simple qu’il n’y paraît : une vingtaine de kilos de matériel à acheminer sur place, à ski de randonnée, en accédant d’abord au roc Diolon (3 071 m) puis en descendant jusqu’au lac, le tout dans des horaires très contraints pour éviter les avalanches de fonte dans la redescente vers Prapic.

Départ pour le lac des Pisses © Emmanuel Evin

Emmanuel Evin, garde-moniteur du Champsaur participant à la mission, explique le protocole et les différents prélèvements d’eau. « À la pelle, le manteau de neige, épais de 160 cm, est ôté. Puis, la tarière à manivelle permet le poinçonnage de la glace. Les trous successifs ainsi réalisés sont ensuite reliés à l’aide de coups de pelle, une pelle rallongée et aiguisée pour l’occasion. Au dessus de la glace perforée, on peut enfin voir les différentes couches de glace formées successivement. C’est par ce trou que sont effectués les échantillonnages. La bouteille de prélèvement, refermée sous l'eau à la profondeur souhaitée grâce à un poids, permet la récupération d’eau de manière précise, juste sous la glace, ou bien à deux mètres, ou bien encore au fond du lac. Le filet de prélèvement est un autre instrument indispensable à la collecte du phytoplancton et du zooplancton. »

Perçage à la tarrière à manivelle © Emmanuel Evin Perforation de la glace © Olivier Warluzelle

En haut, perçage de la glace jusqu'à l'eau. En bas, remontée de la bouteille et du filet de prélèvement.

Remontée de la bouteille de prélèvement © Emmanuel Evin Remontée du filet de prélèvement à phyto et zooplancton © Emmanuel Evin

Des polluants éternels dans les lacs ?

Au total, ce sont trente kilos d’échantillons d’eau, de neige et de glace qui ont été collectés, soit trente kilos supplémentaires à répartir dans les sacs ! Leur analyse en laboratoire fournira des informations précieuses sur le lac, notamment sur les communautés bactériennes, le phytoplancton, le zooplancton, la composition physico-chimique de l’eau et la chlorophylle. Elle permettra également d’établir si le lac est pollué par des substances chimiques, notamment les PFAS, très répandues dans notre vie quotidienne comme dans les usages industriels. Appelées polluants éternels du fait de leur persistance dans l’environnement, ces substances sont également toxiques pour le corps humain. En montagne, on les retrouve par exemple dans le fart des skis ou dans les textiles et matériels imperméables (vestes, chaussures, tentes).

Numérotation des échantillons prélevés dans le lac © Olivier Warluzelle

Cette mission sera reproduite sur d’autres sites et permettra d’en savoir plus sur les pressions liées aux activités humaines sur les lacs d’altitude.

Un suivi annuel depuis vingt ans et déjà une évolution constatée

Le lac des Pisses est suivi depuis 2005 par les scientifiques et les agents du Parc. Chaque année à la mi-septembre, les agents du Parc réalisent de prélèvements (zooplancton, phytoplancton) et récupèrent les données enregistrées par des sondes immergées toute l’année (taux d’oxygène présent dans l’eau, températures sur toute la hauteur d’eau du lac...). Grâce à ces données enregistrées, on peut facilement déterminer les années très chaudes, comme 2015 et 2022 où la température de surface du lac a atteint respectivement 16,9°C et 17,6°C, et les années plus fraîches, comme 2020 et 2021 avec respectivement 14,5°C et 13°C.

Mission de septembre 2024 au lac des Pisses

En vingt ans, une évolution du lac a déjà été constatée : son pourtour commence à être colonisé par des renoncules aquatiques, signe que l’eau, faiblement trophique jusque là, c’est-à-dire très pure, s’enrichit petit à petit en nutriments. La population de poissons se maintient grâce à l'alevinage annuel pour l’activité de pêche. Aujourd’hui, on trouve des poissons dans de nombreux lacs de montagne, mais cela n’a pas toujours été le cas. Les premières traces historiques documentées d’introduction de poissons en montagne datent du Moyen-Âge. À l’époque, les poissons servaient de réserve de nourriture pour les bergers vivant en alpage l’été.

Le réseau Lacs sentinelles de passage dans les Écrins en 2024

Mission de suivi au lac de Plan Vianney © Olivier Lefrançois - PNE En 2013, le lac des Pisses a été intégré au réseau Lacs sentinelles qui suit 25 lacs de montagne en France de manière régulière et sur le long terme. Ce réseau coordonne les efforts de recherche et d’observation à l'échelle nationale autour de l'enjeu suivant : améliorer la compréhension du fonctionnement des lacs et des menaces qui pèsent sur eux afin de mieux les préserver.

Le Champsaur a eu l’honneur en octobre 2024 d’accueillir la 15e rencontre des Lacs sentinelles. Organisée par Asters, le conservatoire d’espaces naturels de Haute-Savoie, et le Parc national des Écrins, elle a rassemblé plus d'une cinquantaine de spécialistes de différentes structures concernées par les lacs d’altitude : Parcs nationaux, laboratoire de recherches, universités, OFB, EDF, fédération de pêche, associations de communication scientifique... Les sujets phares cette année étaient notamment liés à la fréquentation et aux nouveaux usages des lacs d'altitude, mais aussi à des mesures de restauration de la biodiversité de ces milieux fragiles.

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