Dès 1988, une association locale, l’association pour la rénovation culturelle viticole des coteaux de Haute Durance, le Parc national et le conservatoire botanique alpin ont créé à Châteauroux-les-Alpes une vigne expérimentale pour tenter d'améliorer les cépages et la vinification. Le réchauffement du climat des Écrins est également venu s’immiscer dans ce processus, rendant l'exploitation des vignobles d'altitude plus facile... et la qualité des vins bien meilleure ! L’histoire d’Emmanuel et Delphine Bertelloot, fondateurs du Domaine du Mont Guillaume sur les adrets du lac de Serre-Ponçon, en est la preuve.
Un vignoble recréé dans l’Embrunais
Viticulteur bourguignon, Emmanuel choisit en fin de carrière de venir s’installer aux Orres avec sa femme. Mais un passionné ne raccroche jamais vraiment… « J’ai remarqué des vignes à l’abandon dans l’Embrunais, raconte Emmanuel. Je me suis demandé, pourquoi ne pas les réhabiliter ? » Pendant 3 ans, Emmanuel part donc à la recherche de parcelles. Après Saint-André-d’Embrun, c’est sur les pentes du parc national qu’Emmanuel trouve son bonheur : 3 parcelles de 2 hectares à Riou Clar sur la commune d’Embrun et à Saint Julien sur la commune de Puy-Sanières.
À Puy-Sanières, c’est tout un vignoble qu’il faut recréer, comme l’explique Emmanuel : « Les dernières vendanges dataient de 1972, l’exploitation des vignes a été complètement abandonnée après. » Tout doit être repris de zéro, à commencer par l’étude soigneuse de la viabilité du projet et de la microbiologie du sol. Excellente nouvelle, la terre des parcelles est très riche. « Les sols sont plein de vie, jamais pollués par les traitements, s’enthousiasme Emmanuel. C’est un environnement extraordinaire pour planter de la vigne ! » Dernière étape : rechercher des porte-greffes de qualité, et la culture peut commencer !
Un environnement particulièrement propice
La récompense est arrivée cet été avec la première récolte du domaine. « C’est une petite récolte, précise Emmanuel, car on a privilégié l’enracinement de la vigne. Mais elle se plaît beaucoup, c’est prometteur pour l’avenir ! » Des récoltes plus « normales » sont prévues d’ici 3 à 4 ans. « Mais comme la vigne est haute en altitude, il n’y aura jamais énormément de rendement », explique Emmanuel. Tant pis, ou plutôt tant mieux, car les objectifs sont essentiellement qualitatifs ! « J’aimerais tirer vers le haut l’image des vins des Hautes-Alpes, qui étaient connus autrefois pour ne jamais arriver à maturité… Ce n’est plus le cas aujourd’hui ! »
Car il ne faut pas oublier qu’on parle ici d'un des vignobles les plus hauts de France. Combinée au climat sec et ensoleillé de l’Embrunais, l’altitude, entre 800 et 900 mètres, constitue clairement un atout pour la vigne. « On a une amplitude thermique intéressante et grâce au vent et au soleil, la pluie sèche très vite. Résultat : peu de maladies donc peu de traitements nécessaires. Je suis intimement convaincu du potentiel qualitatif de la vigne ici », résume Emmanuel. Des éléments qui jouent incontestablement sur le produit fini. « C’est un vin de plaisir, pas trop alcoolisé ni trop tannique, explique Emmanuel. Il se distingue des vins du sud de la France qui sont très marqués par le soleil et la chaleur. »
Autre gage de qualité : avec l’aide du Parc national qui a financé la moitié de la certification, la vigne est cultivée en bio depuis le début. « Ça a été plutôt facile, précise Emmanuel, car les lieux étaient abandonnés de toute culture depuis longtemps ».
Et lorsqu’on aborde les conditions de travail de la vigne, forcément différentes de la Bourgogne, Emmanuel sourit : « En plus de la difficulté d’accès aux parcelles, il y a des contraintes qu’on ne trouve nul part ailleurs, comme les visites régulières des lièvres, sangliers, blaireaux, oiseaux… Mais ça contribue au caractère exceptionnel des lieux ! »
Une activité pérenne et prometteuse
Planter de la vigne n’est pas une décision anodine, comme nous l’explique Emmanuel : « C’est un choix important car on marque le territoire pour plusieurs siècles. Les premières vignes de l’Embrunais ont probablement été plantées par les moines de Boscodon et les miennes seront là longtemps après moi. » Conscient de cet enjeu, Emmanuel a souhaité créer un domaine pérenne pour pouvoir le transmettre dans quelques années. « C’est plus qu’un pari pour moi. Avec le réchauffement climatique, les Hautes-Alpes sont une région viticole en devenir. »
La dynamique semble relancée, puisque de jeunes viticulteurs suivant les traces d’Emmanuel sont actuellement à la recherche de parcelles dans l’Embrunais. Emmanuel voit même plus loin : « Et pourquoi ne pas imaginer dans le futur replanter des vignes plus haut, à Eygliers voire à L’Argentière ? »