
Des nouvelles espèces au nom très local !
« Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas la vie qu’elle n’est pas là. Les lacs glaciaires sont des espaces qui paraissent inertes, minéraux. Et pourtant... » Véronique Vassal, technicienne hydrobiologiste à l’OFB (Office français de la biodiversité), en sait quelque chose, puisqu’elle a découvert dans le lac du Pavé deux espèces nouvelles pour la science, c’est-à-dire non décrites sur Terre jusque là : deux espèces de diatomées, des algues microscopiques. En hommage au lac et au massif, ces deux espèces ont été nommées Achnanthidium pavense et Achnanthidium ecrinense. Un privilège rare pour les Écrins !
Qu’est-ce que les diatomées exactement ?
Les diatomées sont des micro-algues jaunes ou brunes apparues sur Terre il y a 350 millions d’années. « Elles colonisent tous les milieux humides et aquatiques, que l’eau soit salée ou douce, explique Véronique Vassal. Ces phytoplanctons constituent le premier maillon de la chaîne alimentaire. » Et il faut bien parler des diatomées au pluriel, car on estime que cette appellation regroupe a minima 200 000 espèces différentes ! « On ne les voit pas à l’œil nu, complète Véronique, sauf si elles forment un bloom, c’est-à-dire un tapis végétal. Quand on traverse un torrent sur des cailloux et qu’on glisse, c’est bien souvent à cause d’un tapis de diatomées ! Elles tapissent les pierres en donnant un côté gélatineux, gluant. »
Ces plantes minuscules sont curieuses à plus d’un égard. Elles possèdent par exemple un squelette en silice, attribut rarissime chez le phytoplancton, et « dont les formes et les ornementations très diversifiées permettent d’ailleurs d’identifier les espèces », précise Véronique. Si certaines diatomées sont flottantes et subissent les courants, d’autres au contraire ont la capacité de s’accrocher à des supports physiques... et de se déplacer !
L’apparition de la vie à 2 840 m d’altitude
La découverte des deux nouvelles espèces est une histoire qui commence en 2010, quand les premières missions de suivi du lac du Pavé se mettent en place. Ce lac apparu dans les années 1950 à la faveur du retrait glaciaire devient un véritable laboratoire pour les scientifiques qui peuvent étudier l’apparition de la vie dans un milieu « neuf ». Clotilde Sagot, chargée de mission mesures physiques au Parc national, raconte : « Le suivi du lac a commencé par des mesures de sa température, sur toute sa colonne d’eau, par l’OFB et le Pôle Écosystèmes lacustres. Dans les années 2010, on voyait déjà des petites larves de chironomes sur le bord du lac. Cela signalait qu’il y avait forcément de la matière organique pour qu’elles se nourrissent. Il paraît logique que la vie dans les lacs de montagne apparaisse d’abord sur les littoraux, car ce sont les zones qui déglacent en premier et où l’eau chauffe le plus vite. »
Un inventaire régulier depuis 2018
En parallèle de ces mesures, des prélèvements dans le lac révèlent rapidement la présence de quelques espèces de zoo et phytoplancton. Poussée par la curiosité d’établir un inventaire plus exhaustif des diatomées, Véronique Vassal, appuyée par ses collègues de l’OFB et les agents du Parc national, monte pour la première fois au lac du Pavé en juin 2018. « Nous avons réalisé un prélèvement sous la glace, raconte-t-elle. À cette époque de l’année, il y avait 50 cm de glace recouverts de 50 cm de neige ! Ce prélèvement a lancé tout le protocole d’échantillonnage. »
Prélèvements avec deux gardes du Parc en juillet 2019
Désormais, un état des lieux saisonnier est réalisé chaque année pendant la période où le lac n’est pas en glace (juillet-octobre), sur trois points différents du lac. C’est ce suivi qui a permis d’identifier deux diatomées inconnues au bataillon, donnant lieu à un article scientifique paru en décembre 2023.
Véronique Vassal en plein prélèvement en 2020
Des questions encore en suspens
« C’est toujours un plaisir de voir qu’on a encore des choses à découvrir dans le vivant », se réjouit Clotilde Sagot. Si le voile a été levé sur ces deux diatomées, on estime que 8 millions d’espèces sont encore inconnues aujourd’hui dans le monde, « pas trouvées ou tout simplement pas cherchées », commente Clotilde. Dans le cas des diatomées, « ces deux espèces nouvelles pour la science existent forcément quelque part ailleurs puisqu’elles ont colonisé un lac où il n’y avait pas de vie à l’origine. Ça pose donc la question de savoir d’où elles viennent et de comment elles sont arrivées là. Questions auxquelles on n'a pas de réponses aujourd’hui... »
Les diatomées, sentinelles aquatiques
Au-delà de ces découvertes extraordinaires, le suivi des diatomées fournit également des données précieuses sur la santé du lac du Pavé. En effet, ces algues sont de très bons bio-indicateurs de leur écosystème qui nous renseignent sur les caractéristiques écologiques du milieu. « Les scientifiques les utilisent parmi d’autres paramètres biologiques pour évaluer la qualité écologique de l’eau, explique Véronique Vassal. Au lac du Pavé, elles permettent de faire le suivi écologique du lac. Aujourd’hui, l’eau y est de très bonne qualité. La poursuite du protocole sur le long terme permettra de voir comment les populations de diatomées vont évoluer notamment avec le nouveau refuge qui va probablement attirer un public plus nombreux et plus diversifié. »
Les lacs glaciaires : futurs refuges de biodiversité ?
Les recherches menées au lac du Pavé (mais aussi ailleurs dans le massif des Écrins et dans les Alpes) visent à mieux connaître et protéger les glaciers et les écosystèmes qui leur succèdent. « C’est un vrai enjeu dans le contexte du changement climatique, explique Clotilde Sagot. Les lacs apparus ou en train d’apparaître avec le recul des glaciers restent très froids. Ils vont donc possiblement devenir des refuges pour les espèces spécialistes des milieux froids qui ne trouvent plus les conditions nécessaires à leur survie dans d’autres lacs en cours de réchauffement. Ces milieux ont donc une importance toute particulière, et il est important d’assurer leur protection face aux pressions auxquelles ils peuvent être soumis. »