On en pince pour les écrevisses

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Trois espèces peuplent quelques petits cours d'eau et lacs du territoire du parc national des Écrins. Seule une espèce est historiquement autochtone, c'est l'écrevisse à pieds blancs... menacées par les deux autres, arrivées d'Amérique.

Qui n'a jamais été séduit par ces étonnants crustacés décapodes (à dix pattes !) qui fuient en marche arrière dans le courant.
De l'Australie à l'Amérique en passant par l'Europe les écrevisses sont représentées par de nombreuses espèces, chacune adaptée aux conditions de leur milieu particulier.

Trois espèces peuplent quelques petits cours d'eau et lacs du territoire du parc national des Écrins. "Seule une espèce est historiquement autochtone, c'est l'écrevisse à pieds blancs, les deux autres sont dites « exotiques » et sont arrivées d'Amérique, il s'agit des célèbres « américaines », qui ont été introduites au 19ème siècle en France" explique Philippe Moullec, chef du service haut-alpin de l'ONEMA (Office national de l'eau et des milieux aquatiques).

La plupart des écrevisses apprécie les eaux fraîches, chimiquement pures et bien oxygénées, avec un taux de calcium suffisant. Leur présence est donc un signe de la "bonne santé" d'un cours d'eau.

Dans nos régions, elles partagent souvent ces milieux avec la truite fario et le chabot.
Mais cela ne suffit pas, elles ont besoin d'abris, de caches pour tous les stades de leur vie, et enfin de nourriture et de support pour cette nourriture.
Les ruisseaux aux berges creuses, sans étiage trop sévère, au fond stabilisé par des racines de petit diamètre, semblent les plus aptes à héberger nos petits crustacés.
Faute de cela, les populations végèteront et seront d'autant plus vulnérables.

Les écrevisses à pieds blancs sont réfugiées dans des petits milieux en tête de bassin qui ne correspondent pas forcément à leur idéal d'habitat.

"Ces populations relictuelles sont souvent en état de stress et l'introduction d'individus non autochtones peut être catastrophique" s'inquiète Christophe Albert, garde-moniteur du Parc national des Écrins. "Souvent avec la volonté de bien faire, on peut être tenté d'en remettre dans les cours d'eau... avec le risque important de faire une grosse bêtise".
La reconnaissance des espèces revêt donc toute son importance.

En cas de doute, n'hésitez pas à contacter les agents du Parc national ou ceux de l'ONEMA.

Que de menaces...

En moins d'un siècle, les remembrements, les recalibrages brutaux des fossés et canaux, la détérioration voire l'abandon des canaux ancestraux, la pollution des cours d'eau, ont eu un impact majeur sur nombreuses populations d'écrevisses autochtones qui ont fortement régressées sur tout le territoire.

Ajoutez à cela des qualités culinaires, qui contribuent à faire perdre le sens de la mesure lors des captures.

Et si cela ne suffisait pas, un champignon "Aphanomyces" (peste des écrevisses), redoutable par la dispersion importante de ses spores, a causé la disparition de milliers d'individus.
Les écrevisses américaines sont des porteurs dits sains de cette maladie qu'elles contribuent à propager.

Comment identifier les écrevisses

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Cliquer sur les images ci-dessus pour les agrandir ou bien télécharger le document :icon Identifier les écrevisses (3.72 MB)

2010-04-ecrevis-pied-blancEcrevisse à pieds blancs
(Austropotamobius pallipes)

Notre écrevisse autochtone !

Elle dépasse rarement les dix centimètres. La couleur terne et foncée de sa face dorsale contraste avec la face ventrale plus claire de ses pinces, d'où son nom.
Elle n'est pas agressive. Ses pinces sont rugueuses et son rostre à bords convergents est plutôt triangulaire. Elle est très exigeante sur la qualité de son milieu mais plusieurs écotypes facilitent les adaptations aux conditions régionales particulières.
Espèce discrète (son activité est nocturne), elle recherche une alimentation plutôt végétale,
L'écrevisse à pieds blancs est peu féconde (moins de cent œufs par femelle), la reproduction est automnale.
Sa croissance lente la rend très sensible aux maladies.
Présente dans le Valbonnais, le Valgaudemar, le Champsaur, et l'Embrunais.

2010-04-ecrevis-americEcrevisse américaine
(Orconectes limosus)

Originaire de la côte est des États-Unis, elle a été introduite au 19eme siècle en France
La taille moyenne se situe aux alentours de huit centimètres.
Elle est la seule à présenter des ornementations brunes sur la face dorsale de l'abdomen. Son céphalothorax est franchement piquant avec un rostre aux bords pratiquement parallèles.
Elle est peu exigeante sur la qualité de l'eau et du milieu.
Elle se nourrit même en pleine journée de fragments de végétaux et de petits mollusques.
L'écrevisse américaine est très féconde (trois cents œufs par femelle). La ponte a lieu au printemps.
Sa croissance très rapide (6 cm à six mois) la mets à l'abri des formes aiguës de la peste des écrevisses, mais elle est dite « porteuse saine » et contamine les milieux où elle vit.
Présente dans les plans d'eau de Serre Ponçon, de la Roche de Rame, d'Embrun, de Buclet.

2010-04-ecrevis-signalL'Écrevisse signal
(Pacifastacus leniusculus)

Originaire de l'ouest des États-Unis, elle fut introduite en France dans les années 70.
Des tailles importantes peuvent être observées (14 cm et 150 g).
Elle se reconnaît à la tache claire qu'elle arbore à l'articulation des deux doigts de ses pinces.
Elle apprécie les eaux courantes et fraîches des petits ruisseaux. Très agressive, elle supplante facilement l'écrevisse à pieds blancs dans son milieu qu'elle apprécie et envahit.
Elle est principalement herbivore, les juvéniles préfèrent de la nourriture animale (larves aquatiques).
L'écrevisse signal est mature dès deux ans. Elle se reproduit en automne et la femelle pond jusqu'à 300 œufs.
Sa croissance très rapide (6-8 cm à trois mois), la met elle aussi à l'abri des formes aiguës de la peste des écrevisses mais elle est dite « porteuse saine » et contamine les milieux où elle vit.
Présente dans les plans d'eau de Laffrey.

Dix pattes et plusieurs mues

Les écrevisses sont décapodes car munies de dix pattes. Huit d'entre elles leur servent à marcher, dans le bon sens quand elles vaquent tranquillement à leurs occupations. Deux pattes portent les célèbres pinces utiles pour découper leurs aliments.
Les écrevisses sont toutes omnivores et opportunistes. Elles consomment des débris végétaux et animaux qu'elles trouvent sur le fond de la rivière.
Ajoutez à cela un thorax carrossé comme un char d'assaut et un abdomen très mobile qui manœuvre un propulseur efficace, le telson... et vous avez un animal bien équipé pour survivre.
L'écrevisse est un invertébré à squelette externe. Sa croissance s'effectue donc par mues successives. On retrouve ainsi des exuvies sur le fond des cours d'eau où l'animal est présent.

2010-04-ecrevis-graineLes accouplements ont lieu en automne ou au printemps selon les espèces, et après celui-ci les œufs puis les larves restent accrochés sous l'abdomen de la femelle. On dit alors qu'elle est « grainée ». Dès que les juvéniles sont séparés de leur mère, les mues commencent (jusqu'à huit la première année).
Lorsqu'ils muent les individus sont alors mous pendant quelques jours et à la merci de nombreuses agressions (prédation, piétinement, infections).

Prospection, suivis, préservation...

En étroite collaboration, les agents de l'ONEMA et les agents du Parc national des Écrins veillent sur ces espèces qu'ils recherchent et suivent pour tenter de préserver l'écrevisse à pieds blancs.

2010-04-ecrevis-prospecProspection recherche de sites nouveaux, anciens et méconnus où les écrevisses sont encore présentes.

Suivi des populations connues par inventaires et comptage afin d'apprécier leur santé.

Action particulière de préservation et de protection avec les acteurs locaux lors d'aménagements et de travaux pouvant mettre en péril les animaux ou leur habitat.
Le meilleur exemple est la façon exemplaire dont les travaux de curage du lac de Saint-Apollinaire (Embrunais) ont été conduits en collaboration avec la mairie au début des années 2000, pour le plus grand respect des écrevisses autochtones peuplant le lac.

Le point sur la réglementation

Les trois espèces peuplant notre massif ont un statut juridique différent. Seule l'écrevisse à pieds blancs bénéficie d'un statut de protection d'abord national, puis européen : elle est inscrite à la directive cadre "Habitats".
Son milieu très sensible lui permet de bénéficier de mesures de protection par arrêté de biotope.
Les deux autres espèces, si prolifiques qu'elles peuvent mettre en danger les peuplements autochtones, sont qualifiées « d'espèces susceptibles de déséquilibres biologiques ». Leur introduction dans les eaux libres est une infraction.
9000 euros : voilà le montant de l'amende encourue !

Paradoxalement sur le plan juridique l'écrevisse est considérée comme un poisson ! Sa pêche peut donc être autorisée, avec un permis de pêche, et si le stock des populations existantes le permet.

La pêche à l'écrevisse est totalement fermée dans les Hautes-Alpes.

En Isère la pêche de l'espèce est ouverte sur une brève période estivale durant 10 jours à partir du 4eme samedi de juillet, à l'aide d'engins de capture nommés « balances ».