Au moins 400 bouquetins pour la colonie champsaurine

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Les comptages réalisés cet hiver montrent que cette barre symbolique a été atteinte, confirmant la croissance démographique de cette population réintroduite en 1994, tandis que celle des Cerces, la première en France, semble stabilisée.

Bouquetins - photo M.Corail - Parc national des Ecrins Connaître la démographie des populations de bouquetins réintroduites est l'un des objectifs des suivis réalisés dans les Ecrins.

Le bouquetin des Alpes bénéficie du statut d’espèce protégée au niveau national et son statut de conservation UICN fait l’objet d’une préoccupation mineure. Il a été réintroduit sur la commune de Champoléon en 1994 et occupe principalement la zone cœur. Il s’étend désormais sur les secteurs voisins de l’Embrunais, de la Vallouise, du Valgaudemar et certains individus, équipés de collier GPS, ont montré des liens avec la population du Valbonnais, réintroduite elle aussi, mais en 1989.

"Le comptage de la population Vieux Chaillol/Sirac est mis en œuvre depuis l’hiver 1999/2000 sans discontinuité sur la zone d’hivernage de Champoléon" explique Rodolphe Papet, technicien patrimoine dans le Champsaur. "On réalisait au départ deux opérations pour bénéficier de bonnes conditions météorologiques. Depuis 3 ans, nous réalisons 3 comptages en l’espace d’un mois, dans l’optique de pouvoir faire de meilleurs traitements statistiques. De plus, tous les 3 ans, on dénombre 5 autres sites d’hivernage afin d’avoir une vue globale de la population."

Comptages en évolutions

"Les comptages dit « par affût et approche combinés » montrent rapidement leur limite dans l’expansion des populations animales. Les mesures deviennent plus imprécises que les fluctuations réelles des populations dès que celles-ci augmentent" commente Ludovic Imberdis, chargé de mission "faune" au Parc national des Ecrins. "Cela vient des conditions de réalisation, de la capacité de voir les animaux présents (détectabilité), de l’accessibilité des zones, des risques de double comptage, ..."

C'est la raison pour laquelle, au-delà d’un certain niveau de population (déjà atteint dans les Ecrins) de nouvelles façons de mesurer l’état de la population, moins quantitatives, doivent être mises en œuvre. Ainsi, c'est un suivi indiciaire (avec des points de suivis sur des zones déterminées) qui est mis en oeuvre pour les colonies du Champsaur et des Cerces. Selon le cas, on peut mettre en oeuvre des observation présence / absence sur des quadrats (comme cela se fait pour le loup par exemple) ou une combinaison de différents indicateurs."Le suivi du vivant est une science difficile, en constante évolution". Outre l'adaptation aux connaissances et aux situations, les nouvelles technologies (GPS, bioacoustiques, crottes, génétiques, ….) viennent aussi modifier les protocoles.

Bouquetins en hiver - photo R.Papet- Parc national des Ecrins

Ainsi, à l'issue des suivis, on a pu constater que la population champsaurine est toujours en croissance. La centaine d’individus a été atteinte en 2003/2004. Huit ans plus tard, 200 étaient comptabilisés puis 300 individus 4 ans plus tard. Et encore 4 ans plus tard, ce sont plus de 400 bouquetins qui sont dénombrés.

"Les opérations de cet hiver ont en effet permis de dénombrer plus de 420 bouquetins,  dont 74% se trouvaient sur les adrets de Champoléon" résume Rodolphe. "Le secteur de Gioberney (commune de la Chapelle en Valgaudemar) en abritait une cinquantaine, quand on en comptait une trentaine à Jartier (commune de la Motte en Champsaur),  20 sur Prapic (commune d’Orcières). 7 individus ont été observés en rive gauche de l'Onde (commne de Vallouise) et 4 sur la Tête de Gaulent (commune de Freissinières)."

Eterlou mâle - photo C.Coursier - Parc national des Ecrins Une autre population est dénombrée elle aussi chaque année. Il s’agit de la population des Cerces, fruit de la première réintroduction de l'espèce en France voilà bientôt 61 ans. Des comptages traditionnels sont réalisés au printemps, avec quelque 320 bouquetins en 2019. A ce jour, cette population n’a pas dépassé les 325 individus dénombrés.

A-t-elle atteint la limite que peut « accueillir » le milieu prospecté ou peut-on envisager d’autres raisons ? Les questions de reproduction sont également déterminantes.

Questions de reproduction

L’Indice de Reproduction correspond au rapport entre le nombre de cabris et le nombre de femelles observés. Il traduit la réussite de la reproduction de l’année en cours. C’est le paramètre démographique qui réagit en premier lors d’évènements climatiques extrêmes (hiver froid et enneigé, printemps et été chauds et secs) et d’augmentation de densité. Dès qu'il y a plus de bouches à nourrir, une régulation naturelle s’opère !

Comparaison de l’Indice de Reproduction des femelles « marquées » avec l’IR des femelles obtenu lors des comptages (population Champsaur)
Population Champsaur - Comparaison de l’Indice de Reproduction des femelles « marquées » avec l’IR des femelles obtenu lors des comptages

Bouquetin - photo R.Papet- Parc national des Ecrins Un IR de 0,35 veut dire que 35 % des femelles ont un petit. Ce sont les résultats de cet hiver, soit un indice très faible comparé à la moyenne de l’IR des 6 dernières années (0,54). Un autre indicateur permet de conforter ce résultat, c’est l’IR obtenu à l’aide des femelles que nous avons individualisé au moyen de marques auriculaires et suivi depuis le début d’été. Il est également faible : 0,45. Alors qu’il était en moyenne de 0,75 les 6 dernières années (voir le graphique ci-dessus). Toutefois, on peut se rassurer car nous avions déjà enregistré un IR très faible l'hiver 2010/2011 (0,32).

Quelle pourrait être la raison de cette faible reproduction ?

Y'aurait-il un effet retard de l’hiver très rude d’il y a deux ans ? Une reproduction très faible avait été constatée le printemps suivant dans la population des Cerces... Un problème de pathologie avec d’éventuelles maladies abortives ? Les premiers signes de densité-dépendance ?... Les travaux de suivis et d'analyses, sanitaires notamment, réalisés dans le cadre du programme Lemed-Ibex ont aussi pour objectifs d'avancer vers des réponses à ces questions.