Une petite colonie entre Pavé et alpe de Villar-d’Arène
Tout commence à l’été 2018, quand les agents du Parc national observent de nouveaux venus sur les hauteurs de Villar-d’Arène. « On a d’abord vu trois femelles, puis quatre mâles, raconte Éric Vannard, garde-moniteur dans le Briançonnais. Maintenant, c’est une dizaine de bouquetins qui sont là. Ils passent l’hiver à l’alpe de Villar-d’Arène et remontent l’été dans le secteur du lac du Pavé. Ils viennent assez proches du refuge et font la joie des randonneurs et des alpinistes ! »
Trois autres nouveaux noyaux de population
Cette nouvelle colonie n’est pas une exception dans le massif des Écrins, puisque trois autres noyaux de population fraîchement installés ont été relevés en Oisans (dans le vallon de la Selle), dans la Vallouise (autour de la tête de Gaulent) et dans l’Embrunais (dans le vallon de Chargès). « Ils sont l’héritage de la réintroduction, commente Yoann Bunz, chargé de mission faune. Dans les Écrins, nous avons trois grandes populations "historiques" : celle du Vieux Chaillol-Sirac, de l’Oisans-Valbonnais et des Cerces. La dynamique naturelle du bouquetin impliquant la colonisation des habitats favorables, il n’est pas étonnant que les vallées non colonisées jusque là abritent maintenant des bouquetins. »
Cartographie des populations historiques de bouquetins et des nouveaux noyaux
Leur origine : une information précieuse
Petite facétie de l’histoire : aucun des bouquetins de ces nouveaux noyaux n’étant marqué aux oreilles, impossible de déterminer immédiatement leur origine… Cette information qui peut paraître anodine est en réalité très importante, « notamment pour creuser la question des déplacements et de la diversité génétique, précise Yoann Bunz. Chez une population partie d’une réintroduction, qui par définition comptait peu d’individus au départ, on sait qu’il y a un risque de faible diversité génétique. Et donc d’une moindre résilience face aux modifications de l’environnement ou aux maladies. »
Des pronostics assumés !
Concernant l’origine des bouquetins du Pavé, Éric Vannard avait déjà son avis sur la question. « Je suis persuadé qu’ils arrivent du Champsaur. La population la plus proche est dans les Cerces, mais depuis le relâcher dans le Combeynot en 1959, plus aucun bouquetin des Cerces n’est revenu en versant nord. Alors qu’il y a déjà eu un précédent depuis le Champsaur : en 1995, un jeune mâle et une jeune femelle réintroduits dans le Champsaur sont allés jusqu’à Villar-d’Arène en passant par la Vallouise. Ils ont passé un hiver là et sont repartis au printemps suivant. »
La génétique tranchera
Pour lever définitivement le mystère, les agents du Parc peuvent compter sur une arme de choix : l’analyse génétique. Pour cela, une collecte de crottes a été lancée l’été dernier ; elle se poursuivra en 2024. Avec parfois quelques écueils, comme le raconte Yoann Bunz. « Il nous faut récolter des crottes fraîches et d’individus différents. Les noyaux de population étant très peu denses, ce n’est pas toujours facile… En 2023, nous n’avons pu récolter des crottes que sur trois des quatre noyaux, soit huit échantillons envoyés à l’analyse mais dont trois n’étaient pas de qualité suffisante. »
Fin du suspense
Quoiqu’il en soit, les premiers résultats ont déjà apporté quelques réponses. Les deux bouquetins du Pavé pour lesquels des crottes ont été ramassées sont issus… de la colonie du Champsaur. Tout comme deux des individus de la colonie de la tête de Gaulent, et probablement un individu provenant de l’Embrunais. « Il y a une grosse distance génétique entre les bouquetins des Cerces et les autres, explique Yoann. Il a donc été facile de déterminer que ces individus ne venaient pas de la population des Cerces. Par contre, les populations du Champsaur et de l’Oisans étant génétiquement très proches, c’est plus compliqué de les différencier. »
L’importance des corridors écologiques
Les analyses ont donc conforté ce que pressentaient les agents du Parc. « Même si la population des Cerces est plus proche à vol d’oiseau, on voit bien qu’il y a quelque chose qui freine la colonisation vers le sud, note Yoann. C’est probablement la combinaison de l’axe routier et de la Romanche qui barre le corridor écologique qu’on aurait pu imaginer vers le cœur du massif. »
Ces premières conclusions seront complétées par d’autres analyses génétiques, notamment pour confirmer les premiers résultats obtenus, mais également pour déterminer l’origine des individus du nouveau noyau du vallon de la Selle (Oisans). Bilan définitif de l’étude dans un an !
Petit historique de la réintroduction des bouquetins dans les Écrins
Dans les Cerces
Mai 1959 : La fédération départementale des chasseurs des Hautes-Alpes relâche deux bouquetins mâles originaires du mont Pleureur (Valais) dans le massif du Combeynot. Ce secteur à l’ubac ne convenant pas à l’espèce, les deux individus s’installent sur l’adret de la vallée de la Guisane, dans le massif des Cerces.
Mai 1960 : Une autre réintroduction de deux mâles et deux femelles est réalisée à l’alpe du Lauzet.
Dans l’Embrunais
1977 : Sept individus sont relâchés dans la vallée du Rabioux. Un échec à la clé, avec la dispersion et la disparition des animaux.
Dans le Valbonnais
Avril 1989 et avril 1990 : 16 puis 12 bouquetins capturés dans le parc national de la Vanoise sont relâchés à Gragnolet.
Dans le Champsaur
Automne 1994 et printemps 1995 : 30 bouquetins capturés en Vanoise sont relâchés aux Clots.