
Dans le Fournel, la prairie des Deslioures, commence à prendre une belle teinte bleutée... C'est le début de la floraison de la Reine des Alpes, star incontestée de cette réserve biologique dirigée, gérée par l'ONF.
Ce mardi 13 juillet, la belle est courtisée par un florilège de botanistes et de gestionnaires d'espaces naturels. Elle le mérite bien. La Reine des Alpes (Eryngium alpinum) appelée aussi chardon bleu est une espèce rare et protégée, endémique de l'arc alpin. La population du Fournel est une des plus importantes et le site des Deslioures en est le fleuron.
Il a donc été choisi pour acter la naissance d'un réseau d'étude et de conservation de la flore. Sous les mélèzes, à plus de 1600 mètres d'altitude, les représentants « officiels » ont signé une charte formalisant la volonté de leur structure de contribuer aux travaux du Réseau "Conservation de la flore Alpes-Ain".
Sept départements des régions PACA et Rhône-Alpes sont concernés : les Alpes de Haute-Provence, les Hautes-Alpes, l'Ain, la Drôme, l'Isère, la Savoie et la Haute-Savoie. Un ensemble qui recouvre très exactement le territoire d'agrément du Conservatoire botanique national alpin (CBNA), animateur de ce réseau. Depuis plus de deux ans, déjà, les acteurs de la conservation de la flore se retrouvent pour échanger sur leurs pratiques. "Très vite, on a compris que pour des questions d'efficacité, pour pouvoir faire des synthèses à l'échelle biogéographique, nous devions mutualiser nos méthodes de travail" résume Pascal Chondroyannis, directeur du CBNA.
La conservation de la flore sur un territoire aussi vaste ne pouvait en effet s'envisager sans un partenariat fort et pérenne avec l'ensemble des organismes qui interviennent sur tout ou partie des étapes de conservation : gestionnaires d'espaces naturels, collectivités, universitaires, associations de protection de la nature, botanistes amateurs...
Cette démarche informelle a déjà permis d'élaborer une liste commune d'espèces prioritaires en matière de conservation (liste bloquée), de définir des protocoles communs pour le suivi de ces espèces et de réaliser des synthèses sur l'évolution de quelques espèces.
Une plateforme collaborative, hébergée par l'association Tela Botanica, favorise également les échanges entre tous.
La toute nouvelle directrice de l'agence de l'ONF dans les Hautes-Alpes, Françoise Tardieu-Decaix, a souligné l'intérêt d'un réseau qui crée des liens entre les Alpes du Nord et du Sud. Cette logique de "massif alpin" est déterminante également aux yeux de Joël Giraud, maire de l'Argentière-la-Bessée et vice-président de la région PACA. Il a rappelé que le Fournel a été "la première zone Natura 2000 en France portée à l'initiative d'une collectivité". Une démarche pionnière dont il se félicite aujourd'hui.
Thierry Durand, directeur-adjoint du Parc national des Écrins, a mis l'accent sur l'importance de la "chaine d'information" qui, en coulisse, permet le relevé et le traitement des données. Les nouveaux outils mis en place par le Parc, fruits d'un travail partagé avec le CBNA, conjuguant des contraintes techniques et des compétences scientifiques. "Il s'agit d'accompagner les métiers de demain dans ce champs d'innovation considérable et de répondre à notre responsabilité de porter à connaissance les données environnementales".
Des enjeux partagés
Les enjeux partagés par les membres du réseau sont :
1. de créer du lien entre les différents acteurs de la recherche, de la connaissance et de la gestion,
2. d'articuler, de mutualiser et de restituer les actions de suivi et conservation de la flore pour les Alpes françaises et l'Ain,
3. de favoriser la construction de projets communs pour la connaissance et la gestion conservatoire des espèces et des milieux à l'échelle du massif alpin,
4. de valoriser les actions communes et d'y sensibiliser les acteurs intervenant sur ces territoires.
A terme, près d'une trentaine de structures devraient participer aux activités de ce réseau :Les organismes de recherche sur la biodiversité végétale, les gestionnaires d'espaces naturels, les animateurs des sites Natura 2000, les collectivités et tous les organismes impliqués dans la préservation de la flore (associations, syndicats...).
Le soutien de la DATAR (comité de massif), des régions Rhône-Alpes et PACA constituent déjà la reconnaissance d'une action majeure en faveur de la biodiversité.
La naissance officielle du Réseau a été l'occasion d'une rencontre de terrain pour les partenaires des différentes structures impliquées. Ils ont notamment bénéficié d'une présentation du programme de suivi de la flore développé par le Parc national des Écrins sur un ordinateur de poche. Un « outil nomade » qui est proposé pour réaliser les travaux engagés en commun sur les espèces définies dans le cadre du Réseau.
Lire le dossier sur notre site internet : Botanique, de l'inventaire au suivi
Dix années dans les Reines des Alpes
Dans une prochaine vie, elle sera sans doute... une Reine des Alpes.
C'est ce que dit Irène Till dans un sourire, en évoquant les longues heures d'été passées aux pieds de la belle... sans compter toutes les autres dans son laboratoire universitaire pour traiter les données accumulées.
Chercheur au laboratoire d'écologie alpine (Université Joseph-Fourier, Grenoble), elle suit depuis plus de dix ans l'évolution de la Reine des Alpes dans les Écrins et en Vanoise, notamment. L'objectif de ses travaux est de « modéliser la dynamique de l'espèce ». Les longues séquences d'observation permettent en effet de comprendre l'évolution, de la corréler avec des pratiques humaines et d'autres facteurs, climatiques par exemple.
« C'est très rare d'avoir des données sur autant d'années » affirme la scientifique. Les travaux réalisés s'arrêtent souvent au pas de temps d'une thèse. Soit environ trois ans.
Pourtant, ce sont les informations accumulées sur le long terme qui permettent ensuite de « faire des scénario prédictifs ».En fait, tout est partie de « la demande des parcs nationaux » qui, voilà dix ans, ont voulu en savoir plus sur la Reine des Alpes. Pour cette espèce emblématique, protégée et en régression, ils mettaient en place des mesures agri-environnementales en lien avec les agriculteurs locaux. Au-delà des intuitions et des observations, il est important de s'appuyer sur des analyses solides pour, par exemple, décider de retarder la fauche ou de modifier les pâturages.
Rapidement, les travaux d'Irène Till et de ses étudiants ont permis de repérer tout l'intérêt d'une fauche après le 15 août. "Les graines sont là 30 jours après les premières étamines..." Après, il est possible de faucher sans pénaliser l'espèce mais le foin coupé alors n'est que de piètre qualité. Les "modélisations" devraient permettre de définir des rythmes de fauche qui soient adaptés à la plante et à l'agriculture !
Sur différents sites du Fournel, des placettes de Reine des Alpes sont suivies depuis plus de dix ans.
Autre constat assez net, comme tout le monde s'en doutait,le pâturage de printemps est catastrophique pour la plante... d'autant qu'elle est très appétante pour les animaux. En revanche, celui d'automne peut lui être bénéfique...Le passage des bêtes peut favoriser la dissémination voir la germination...
La présence d'une avalanche, complétée par le débroussaillage mécanique favorise aussi le maintien de l'espèce qui craint l'arrivée de la forêt.
Des expériences à Pralognan en Vanoise, d'autres aux Écrins dans le Fournel: la conjugaison des informations est utile pour connaître cette espèce... dont la dynamique n'est pas si simple. On est loin encore de tout comprendre : Irène Till n'en n'a pas encore terminé avec la Reine des Alpes.