Menace sur la reine des Alpes

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Reines des Alpes dans le vallon du Fournel © B. Bodin - PNE
Rare et protégée, la reine des Alpes fait l’objet d’un bilan de santé tous les 6 ans dans le massif des Écrins. En 2023, l’inventaire a révélé un déclin inquiétant de la plante dans toutes les vallées du parc national. Zoom sur cette espèce emblématique, les dangers qui pèsent sur elle... et les solutions possibles pour enrayer sa régression.

Une aire de répartition globale en diminution

Reine des Alpes, chardon bleu, panicaut, étoile des Alpes : autant de noms pour cette plante très esthétique endémique de l’arc alpin mais dont les populations sont en déclin. « Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, elle était bien présente dans tous les pays de l’arc alpin, raconte Cédric Dentant, botaniste au Parc national des Écrins. Depuis la mécanisation de l’agriculture et l’évolution des pratiques, notamment l’abandon de la fauche au profit du pâturage, elle est en forte régression et a disparu de certains pays. Elle bénéficie de tous les statuts de protection possibles aux niveaux national et international et elle est inscrite sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). »

Reines des Alpes dans le vallon du Fournel © P. Saulay - PNE

La réserve biologique des Deslioures, dans le vallon du Fournel, héberge la plus grande population d'Europe de reines des Alpes.

Dans les Écrins, un inventaire 2023 aux résultats inquiétants

Une dernière zone échappe à cette tendance : le parc national des Écrins, où la reine des Alpes est très abondante. Mais peut-être devrait-on parler au passé, car en 2023, des indices de régression ont été relevés dans toutes les populations du massif. Cédric Dentant explique : « Depuis 1999, la reine des Alpes fait l’objet d’un suivi conséquent. Tous les 6 ans, le Parc national réalise un inventaire sur un ensemble de sites où l’espèce est présente, ce qui permet de comparer les populations à intervalle régulier. Jusqu’en 2017, les populations étaient considérées comme stables mais cette année, nous avons constaté que la reine des Alpes était en diminution partout. »

Sur ces graphiques, la ligne horizontale épaisse représente la valeur médiane de l'abondance de l'espèce, dans le parc national des Écrins (graphique de gauche) et par vallée (graphique de droite). Elle est en baisse partout depuis 2017.

Quelques explications avancées mais beaucoup d’incertitudes

L’explication la plus courante de cette régression est souvent en lien avec des changements des pratiques agricoles. Comme le précise Cédric, « c’est une plante qui aime bien les milieux ouverts comme les zones fauchées. Elle est très liée à l’histoire pastorale de l’humanité. À l’inverse, elle n’apprécie pas le pâturage précoce. Quand on remplace la fauche par le pâturage, par exemple dans les parcelles de montagne difficilement accessibles aux engins agricoles, la reine des Alpes décline. »

Reines des Alpes dans le vallon du Fournel © B. Bodin - PNE

Si ce phénomène peut expliquer la régression de la plante dans les zones pâturées, il n’explique pas sa régression globale. Car la reine des Alpes est en recul même dans les zones dites primaires, sans impact direct de l’homme, et « c’est ce qui nous interpelle vraiment », commente Cédric. Parmi les hypothèses avancées, le cumul des sécheresses en 2022 et 2023, l’augmentation des températures, ou une reproduction plus difficile liée au décalage phénologique entre le fleurissement de la plante et la présence des pollinisateurs. Mais « rien n’est avéré à ce stade, explique Cédric. En écologie, il est dur d’avoir des certitudes car beaucoup de facteurs s’appliquent. »

L’urgence d’agir

Reine des Alpes © T. Maillet Les recherches pour tenter d’en savoir plus vont donc se poursuivre. Mais « impossible d’attendre qu’il soit trop tard pour maintenir l’espèce dans les Écrins, prévient Cédric. Du fait de l’importance des populations dans le massif et de sa rareté ailleurs, nous avons une responsabilité énorme pour cette espèce. Comme l’a dit le biologiste Michael Soulé, la conservation des espèces est une science de l’urgence. Il faut accepter de ne pas avoir tous les résultats pour agir. »

Le Parc national a donc lancé des concertations avec le Conservatoire botanique alpin, les scientifiques et les agriculteurs. « Dans les zones où il y a eu un changement de pratiques agricoles récent, nous pourrons intervenir avec l’aide des agriculteurs et des bergers. Ailleurs, il faut réfléchir à autre chose. » Le renforcement des populations via des réensemencements est la solution envisagée à l’heure actuelle. Elle nécessitera quelques années au vu des tests de germination à effectuer.

En 2023, l’inventaire de la reine des Alpes dans le parc national des Écrins a été effectué par Marine Challamel, stagiaire botaniste. Le rapport complet de son suivi des populations est téléchargeable en bas de page.

Pour en savoir plus sur la reine des Alpes