Une seule santé, en pratique ? Pas si simple!

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Le 17 mars dernier, soit juste un an après le premier confinement, s’est tenue à VetAgro Sup (institut vétérinaire et agronomique, campus vétérinaire de Marcy-l’Étoile) la conférence nationale « Une seule santé, en pratique ? » placée sous le parrainage des ministres de la transition écologique et de l’agriculture et de l’alimentation. La séance a été retransmise en live sur une plateforme dédiée. Au final, entre participants présents physiquement et internautes, l’événement a rassemblé plus de 2 700 personnes ! Le Parc national des Écrins y était représenté par Thierry Durand, directeur-adjoint et co-animateur de l’atelier « faune sauvage ».

Pourquoi cette conférence ?

Depuis quelques années et plus encore depuis le début de la pandémie de Covid-19, la communauté scientifique et les ONG environnementales alertent les pouvoirs publics sur l’urgence d’une meilleure prise en compte des questions de biodiversité et de santé globale dans les politiques publiques. L’accélération de l’effondrement de la biodiversité planétaire, la perte de services écosystémiques de régulation et des facteurs d’amplification liés aux changements globaux, font peser une menace majeure et sans équivalent connu à ce jour, sur l’ensemble de l’humanité et des écosystèmes terrestres. De nombreux articles et ouvrages de notoriété internationale rappellent le caractère critique de la situation à laquelle nous sommes désormais confrontés. Les maladies transmises aux hommes par les animaux, la pollution chronique de nombreux écosystèmes terrestres, la qualité de l’alimentation et les impacts écosystémiques des maladies émergentes (maladies fongiques de amphibiens, effondrement des populations d’insectes et de passereaux, dépérissement des colonies de pollinisateurs sauvages, impacts des espèces invasives introduites sur les populations animales et végétales autochtones, etc.) préoccupent de très longue date les professionnels de la santé comme les populations et les gestionnaires d’espaces naturels, protégés ou non.

Les méthodes de gestion de la santé et de la biodiversité, hier éprouvées, sont aujourd’hui questionnées, voire d’ores et déjà obsolètes. S’agissant des risques sanitaires émergents, elles sont peut-être à inventer...

Dans le prolongement de la première conférence initiée sept ans plus tôt sur un thème analogue et déjà co-organisée par l’ONG Humanité-Biodiversité, c’est pour susciter des regards croisés sur nombre de questions brûlantes et d’actualité, que cette conférence a été initiée dans le courant de l’été 2020. Outre les tables rondes et les conférences, dont celle très remarquée de Marc-André Sélosse du MHNH sur le microbiote, des restitutions d’atelier ont permis de préfigurer ce que pourraient être, au-delà des intentions, les ferments du « passage à l’acte » tant attendu, pour concrétiser dans la pratique de tous les jours le concept « one-health », en y intégrant une valence environnementale plus affirmée.

En effet, comme le souligne la déclaration finale portée par les cinq ONG organisatrices de l’événement (Humanité et biodiversité, France Nature Environnement, l’Association santé environnement-France, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité et la Fédération des syndicats vétérinaires de France), « il est possible et urgent de passer à l’action » et de « mener résolument une politique de santé publique prenant en compte, en lien avec la notion de santé-environnement, le concept « Une seule santé », à traduire concrètement par des actions opérationnelles transversales et pluridisciplinaires ».

Des conférences de haut niveau et des tables rondes « sans langue de bois » réunissant experts et décideurs nationaux et internationaux

Déterminé, voilà l’état d’esprit de la majorité des intervenants. Ce fut en effet une intense journée, introduite par Emmanuelle Soubeyran directrice générale de VetAgro Sup (ci-contre) et par Nathalie Guerson, directrice de l’École nationale des services vétérinaires (et rythmée par une alternance de tables rondes, de conférences et de restitutions d’ateliers).

Parmi les temps forts, on retiendra l’intervention introductrice de la secrétaire d’état à la biodiversité, Bérengère Abba, qui a rappelé l’engagement du ministère de la transition écologique précisant, au regard des avancées de la connaissance, qu’« il n’est donc pas question d’aller chercher l’origine de nos problèmes dans l’écaille de pangolin ou sous l’aile des chauves-souris, mais bien d’agir directement sur notre relation à la nature ».

On retiendra encore parmi les séquences marquantes questionnant notre relation à la biodiversité, une table ronde initiale (« une seule santé, de quoi parle-t-on »), temps important d’acculturation aux questions d’environnement et de santé, suivie de l’intervention d’Hélène Soubelet (FRB)  très documentée sur les liens entre biodiversité et pandémies. La table ronde « Quelle transversalité en pratique ? » animée par France stratégie (Julien Fosse), qui réunissait (de droite à gauche et de haut en bas) Jean-François Mattéi (ancien ministre, membre de l’Académie nationale de médecine), Pierre Dubreuil (directeur général de l’Office français de la biodiversité), Roger Genet (directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail - ANSES), Jean-Philippe Dop (directeur-adjoint de l’Organisation mondiale de la santé animale - OIE) et Maria Neira (directrice santé-environnement de l'Organisation mondiale de la santé - OMS) a été une séquence stimulante de regards croisés entre représentants de grandes institutions nationales et internationales. Parmi les prises de position marquantes, Jean-Philippe Dop souhaite voir émerger une forte coopération internationale au sein de la « quadripartite » suivante : OIE, organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO), Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et OMS. Maria Neira (OMS) constate elle que « les microbes profitent de n’importe quelle faille pour s’infiltrer » et conclut sur l’importance d’une prévention à la source et sur des « pactes positifs » permettant plus de résilience et reposant sur des principes fondateurs comme :

  • le respect de la nature et des écosystèmes, pour renforcer la résilience globale face aux menaces,
  • la promotion de services de production d’aliments plus durables,
  • la mise en place d’une planification nouvelle respectueuse des santés humaine et animales,
  • une plus forte cohérence des politiques internationales, passant notamment par la lutte contre les subventions « toxiques ».

En conclusion, Maria Neira est revenue sur l’importance des stratégies de résilience et de prévention (celles-ci ne représentant que 3 % des dépenses de santé) et sur le fait que dans le domaine de la santé, la prévention passe par la protection de l’environnement, la planification urbaine et la recherche.

Des ateliers en forte forte connexion avec le vécu des parties prenantes et en particulier des gestionnaires de projets territorialisés et d’espaces protégés

Sept ateliers thématiques regroupant des expertises très diversifiées dans les domaines de la gouvernance nationale et internationale et de la médecine et plus généralement des disciplines médicales, des questions vétérinaires et agronomiques, de l’écologie et de la gestion des espaces protégés, se sont penchés sur les thématiques à fort enjeu retenues par le comité scientifique de la conférence :

  • Les microbiotes au cœur de la santé du vivant
  • Agriculture et alimentation : causes et solutions aux émergences infectieuses
  • Quels processus pour la prise en compte plus intégrée de la faune sauvage et de la biodiversité?
  • Biocides et médicaments : impacts sur l'environnement, quelles alternatives ?
  • Territoires, quelles actions publiques ?
  • Quel modèle international / européen de gestions des risques sanitaires ?
  • Former les décideurs et les professionnels de santé.

Parmi les propositions structurantes pour les gestionnaires d’espaces protégés, dans les champs de la connaissance et de la gestion de l’interface entre biodiversité et santé, on retiendra entre autres la nécessité :

  • d’approfondir les connaissances sur les liens entre agriculture et santé, et de renforcer larésilience et la transition vers des modes d’élevage « écologiquement productifs » (agro-écologie) en agissant sur les facteurs de vulnérabilité ;
  • d’encourager les recherches sur les mécanismes d’émergence sanitaire et sur les servicesécosystémiques de régulation ;
  • de décloisonner les instances nationales et territoriales (conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale, conseils régionaaux d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale, comités départementaux de la chasse et de la faune sauvage, conseils territoriaux de santé...) pour couvrir les champs des « trois santés » ;
  • de financer une plateforme nationale permanente de collaboration interministérielle et opérationnelle, pour informer, animer et mutualiser les ressources sur les projets de santé-biodiversité ;
  • de créer une compétence obligatoire « une seule santé » dans les territoires, partagée entre les conseils régionaux et les intercommunalités, et accompagnée de moyens adéquats ;
  • d’inclure un volet « une seule santé » dans les contrats locaux de santé et de développer les comités territoriaux de santé ;
  • d’intégrer dans les programmes scolaires et extra-scolaires, en particulier dans le secondaire, des notions sur les interactions entre santé et biodiversité, sur les « bons comportements du quotidien » et sur les services rendus par la nature ;
  • de conscientiser les décideurs en exercice (ministères, régions, intercommunalités, grandes entreprises, etc.) à l’interdépendance des trois santés et à l’importance des services écosystémiques ;
  • de mettre en place une information du grand public relative à l’utilisation des biocides ;
  • de préparer les crises sanitaires en améliorant les maillages régional et local des expertisesfaune / flore sauvages en lien avec la santé, etc.

Déclaration finale. De gauche à droite et de haut en bas : en visio, Hélène Soubelet (FRB), Arnaud Schwartz (FNE), Bernard Chevassus-au-Louis (Humanité-Biodiversité) et dans la salle, Dr Pierre Souvet (ASEF) et Dr Jean-Yves Gauchot (FSVF) Reste à mettre en œuvre ces recommandations, dont certaines sont pour partie reprises dans la déclaration finale (à consulter en fin d'article). Comme le rappellent les experts de tous bords, en regard de l’urgence environnementale et sanitaire, le temps est venu des passer des paroles aux actes. Certains opposeront probablement à ce volontarisme largement exprimé le coût de la prévention, dont certains considèrent qu’il est difficilement assumable en période de crise ; à ce postulat, on pourra toutefois opposer les données produites par les économistes de la santé, selon lesquelles les dommages économiques annuels des pandémies pourraient se chiffrer à plus de 1000 milliards de dollars annuels, alors que la prévention et les approches de réduction des risques coûteraient environ 100 à 120 fois moins cher.

Comme le rappellent de nombreuses injonctions formulées par les intervenants, le temps est venu de passer enfin à l’action, de passer « d’une logique de lutte à une logique de collaboration », notamment en réapprenant à « habiter la planète » et à respecter sa biodiversité et son agrodiversité, ce qui n’est en rien en opposition avec le concept de développement soutenable, qui a vu le jour en juin 1992, lors de la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, et dont l’appropriation reste manifestement à parfaire ...

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