Pollution atmosphérique  : 27 ans de mesures dans les Écrins

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La station MERA au Casset - mesures de l’évolution de la pollution atmosphérique longue-distance
Depuis 1989, la station du Casset, située dans le Briançonnais, mesure l’évolution de la pollution atmosphérique longue-distance dans le cadre de l'observatoire MERA. Si l'on constate les effets positifs des politiques internationales de réduction des émissions de polluants sur la qualité des eaux de pluie, les résultats des mesures sur l'azote et l'ozone sont moins encourageants, avec des conséquences possibles sur la santé humaine et les végétaux.

station MERA du Casset - © Cyril Coursier - Parc national des Ecrins Collecteur, station MERA du Casset - © Cyril Coursier - Parc national des Ecrins

Voilà une trentaine d'années que la « station du Casset » fait partie de la planification des missions des agents du Parc national dans le Briançonnais. Tout au long de l'année, à pied ou à ski, ils accèdent à la station pour récupérer des prélèvements d'eau qui alimentent un réseau de surveillance réglementaire de la pollution de l'air.

Mise en place dans le cadre du programme européen EMEP (European Monitoring and Evaluation Programme) et de l’observatoire français MERA (Mesure et Evaluation en zone Rurale de la pollution Atmosphérique à longue distance), cette station permet en effet aux scientifiques d‘en apprendre davantage sur les éléments transportés dans l’atmosphère, dans le cadre de la pollution longue-distance.

Dans le cadre d’un projet universitaire, une étudiante en master 1 à l'Institut de géographie alpine, Aubeline Bellom, vient de réaliser un bilan chiffré et comparé des données collectées, avec l'appui d'Aude Bourin, ingénieure de recherche au département des Sciences de l'Atmosphère et Génie de l'Environnement de l’École Nationale Supérieure Mines Télécom Douai (IMT Lille Douai).

« L’étude est menée d’une part sur la présence de polluants dans l’eau des pluies collectées au Casset entre 1990 et 2016 et, d’autre part, sur les concentrations d’ozone mesurées dans l’air entre 1997 et 2016 » explique Aubeline Bellom.

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Qualité de l'air : A quoi sert la station de mesure de la pollution atmosphérique du Casset ?

Les données utilisées sont publiques et sont visualisables et téléchargeables depuis la base de données européenne Ebas

Les objectifs sont les suivants :

  • Déterminer l’évolution de la qualité des eaux de pluie au Casset, depuis les années 1990
  • Etudier l’évolution des concentrations d’ozone au Casset depuis 1997
  • Lier ces résultats aux politiques de réduction
  • Déterminer de potentiels impacts sur les espèces sensibles et protégées du parc national

Une amélioration de la qualité des eaux de pluie 

Depuis 1990, l’eau de pluie au Casset est nettement moins acide. Avec une augmentation du pH à hauteur de 9% sur 27 ans, le résultat est encourageant à plusieurs titres  : d’abord parce que cela signifie que les composés responsables de l’acidité des pluies sont en baisse, notamment ceux qui sont dérivés du soufre (sulfate exclusivement, avec une diminution des concentrations annuelles moyennes de 65% depuis 1990). De fait, cela induit une diminution des potentiels impacts négatifs sur les sols et la végétation.

Cette amélioration de la qualité de l’eau précipitée est dépendante d’une baisse des émissions de polluants primaires (dioxyde de soufre et oxydes d'azote), ce constat est applicable que ce soit dans d’autres stations alpines et françaises ou dans des régions plus éloignées en Europe. Cette baisse des émissions découle directement des politiques de régulation et de réduction des émissions polluantes en France et en Europe. En effet, ces polluants dans les pluies au Casset étant d’origine anthropique, et notamment industrielle et agricole, il est possible de considérer que ces politiques ont eu un effet positif.


Evolution du pH annuel moyen mesuré dans l’eau des pluies au Casset, de 1990 à 2016 : malgré des variations des niveaux moyens d’année en année, on constate une augmentation des valeurs au long terme, ce qui indique une eau de pluie tendant à être moins acide, et donc de meilleure qualité.


Tendances sur la pluviométrie annuelle, le pH annuel et les concentrations annuelles en ions inorganiques au Casset, entre 1990 et 2016, (l’épaisseur de la flèche renvoie au niveau de confiance, les flèches en pointillés ont un niveau de confiance faible. Le nombre de flèches renvoie à l’amplitude de la tendance). Les éléments dont l’évolution est la plus significative sont : le pH, le sulfate et l’ammonium. Ce sont également les éléments les plus révélateurs de l’amélioration de la qualité des eaux de pluie au Casset.

Un problème demeure néanmoins quant à l’eau des pluies au Casset : la présence de composés azotés diminue de façon moins tranchée (nitrate principalement). Or, ces éléments peuvent avoir de potentiels impacts sur la végétation et les sols : un apport accru de nutriments dans un milieu peut provoquer un déséquilibre de la biodiversité (eutrophisation) mais également une acidification des écosystèmes.

Pour évaluer les effets des composés de l’eau des pluies sur les écosystèmes, la notion de charge critique a été créée en 1989 par la Commission Economique des Nations Unies pour l’Europe. La charge critique est définie comme la « valeur d’exposition à un ou plusieurs contaminants en-dessous de laquelle des effets significatifs indésirables sur des composantes sensibles de l’écosystème n’apparaissent pas, en l’état actuel des connaissances ».

« La charge critique acidifiante liée au soufre et la charge critique eutrophisante liée à l'azote ont été calculées au Casset par le Point Focal National français, basé à Toulouse au laboratoire Ecolab. Elles ont été comparées à nos résultats, en se basant sur les dépôts calculés à partir des concentrations mesurées. Il ressort que la charge critique acidifiante en soufre n’est jamais dépassée par les dépôts atmosphériques de sulfate au Casset. En revanche, les cumuls de dépôts azotés calculés à la station (nitrate + ammonium) ont des valeurs qui se rapprochent de la charge critique eutrophisante liée à l’azote. En effet, au point précis de la station, la charge critique calculée est comprise entre 535 à 590 eq/ha/an, or les cumuls de composés azotés au Casset ont pu atteindre 430 eq/ha/an sur l'historique des 27 ans » relève l'étudiante.

Les niveaux d’azote dans les pluies sont donc à surveiller étroitement dans les eaux de pluie au Casset puisque cet espace semble être relativement sensible au phénomène d’eutrophisation au regard de la variété des écosystèmes et des substrats présents à proximité de la station et au sein du parc national des Écrins.

Une stagnation des niveaux de fond d’ozone

station MERA du Casset - © Parc national des Ecrins Les résultats obtenus quant aux concentrations d’ozone sont peu encourageants. On note au Casset une très faible tendance à la baisse de -0,4% sur 20 ans, peu significative (p=0,15) sur la période. Cependant, on note une diminution des valeurs maximales mesurées, -3,6 % sur 20 ans, ce qui induit une diminution du nombre de pics.

Au final, les valeurs d'ozone mesurées au Casset restent relativement élevées : en moyenne horaire, elles oscillent entre environ 80 µg/m3 et 100 µg/m³ . Cela est dû au fait que les concentrations d’ozone sont toujours plus élevées en montagne qu’en plaine ou qu'en zone urbaine.  En effet, les précurseurs d'ozone (oxydes d'azote et composés organiques volatils présents en grande quantité en zone urbaine) peuvent dans certains cas spécifiques détruire l'ozone...

En dépit des efforts réalisés par la France et les pays européens sur les émissions des précurseurs d'ozone, il n’y a pas réellement de changement quant au niveau moyen qui reste plus ou moins constant sur l’ensemble de la période.

"D'autres facteurs peuvent jouer un rôle dans cette stagnation des niveaux de fond, l'influence des conditions météorologiques (des températures élevées peuvent conduire à une augmentation d'ozone) et les apports de très longue distance à l'échelle de l'hémisphère" ajoute Aude Bourin.

L'absence de baisse importante des valeurs de fond est inquiétante car cela induit une confrontation permanente des hommes et des écosystèmes à des niveaux d’ozone élevés. Les seuils de réglementation établis pour les concentrations d’ozone sont largement et régulièrement dépassés au Casset, que ce soit le seuil de recommandation pour la protection de la santé humaine ou celui de la végétation (AOT40).
AOT40 : Accumulated Ozone exposure over a Threshold of 40 ppb  (équivalent à 80 µg/m3) : l’exposition cumulée du végétal aux concentrations d’ozone supérieures à 40 ppb en journée, sur une période de 3 mois (mai à juillet) pour les cultures, et 6 mois pour les arbres (d’avril à septembre).

Nombre de jours de dépassement du seuil français de recommandation pour la santé , de 2000 à 2017 (d’après les données Atmo Aura, 2018).On voit que ce seuil est largement dépassé sur toutes les années, et plus souvent que ce qui est recommandé.


Seuil de protection de la végétation aux concentrations d'ozone (AOT40) Evolution annuelle de 2000 à 2017 (d’après les données Atmo Aura, 2018).On voit que la valeur cible est dépassée sur toutes les années, ce qui induit un potentiel risque pour la végétation locale.

Cependant, le seuil de protection de la santé est de moins en moins régulièrement dépassé au Casset ces dernière années, ce qui est encourageant, cela est lié à la diminution des valeurs maximales mesurées. Pour autant, les comportements de ce gaz sont complexes : son niveau de concentration n'est pas nécessairement accompagné d'une augmentation/baisse des éléments précurseurs de sa formation…

Concernant la végétation, en revanche, on ne note pas réellement de baisse, ce qui est forcément inquiétant pour les écosystèmes du parc national qui constituent un patrimoine naturel fragile et protégé, abritant des espèces végétales rares et sensibles. Les effets de l’ozone sur les espèces végétales font l'objet de diverses recherches. L'une d'elles est actuellement en cours au Casset, conduite par Pierre Sicard, dans le cadre du projet LIFE MOTTLES (MOnitoring ozone injury for seTTing new critical LEvelS, LIFE15 ENV/IT/000183). Elle interroge les effets de l’ozone sur les mélèzes, essence très présente dans le parc national. Une autre étude, plus aboutie mais ne concernant pas directement le parc national des Ecrins, a été menée sur les effets de l’ozone sur un autre conifère, le pin cembro (1). Avec des concentrations d’ozone équivalentes à celles mesurées au Casset, les effets sur les conifères sont visibles, notamment par une décoloration des aiguilles et une perte de densité du feuillage.

(1) Dalstein, L., Mangin A., Carrega , P., Gueguen, C., Vas, N., Sanchez, O., Theodore, B., et Berolo, W. « Etat des forêts d’altitude en relation avec la pollution de l’air par l’ozone dans la région niçoise ». Pollution Atmosphérique, no 188 (octobre 2005).

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Un dossier réalisé par Aubeline Belom, étudiante à l'IGA de Grenoble dans le cadre d'un stage de master 1 au sein de l'IMT Lille-Douai, avec l'appui de Aude Bourin, ingénieure de recherche du département Sciences de l'Atmosphère et Génie de l'Environnement et du Parc national des Écrins.