50 ans d’histoire : Récits de gardes - 2e partie

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À l’occasion des 50 ans du Parc national des Écrins, nous vous proposons de découvrir chaque semaine un pan de l’histoire et des missions du Parc, en images et en témoignages. Pour finir l’année, laissons la parole aux tout premiers gardes-moniteurs, aujourd’hui retraités, qui nous livrent souvenirs mémorables et anecdotes insolites. Un petit aperçu du quotidien de garde il y a quelques décennies !

Le petit chamois, par Gaby Gonsolin, ancien garde-moniteur dans le Champsaur

Gaby Gonsolin au Tourond en 2003 © M. Corail - PNE Je me permets de vous raconter une rencontre exceptionnelle que j'ai faite au cours d'une de mes tournées. Ayant perdu mon cahier de rapport, je ne pourrai dire la date, mais c'est au printemps. Ce matin, je suis à Molines et je m'apprête à partir en tournée d'observation sans but précis. Le temps est pluvieux, il « bavigne » comme on dit chez nous.

Je décide d'aller dans le secteur de Londonnière. Je mets dans mon sac l'appareil photo avec comme seul objectif, le téléobjectif (erreur de ma part). Passée la cabane de Londonnière, je décide d'aller vers  un lieu qu'on appelle le « Coin ». Pour y accéder, il faut franchir une barre par un petit passage : «le « Pavou du Coin », juste au-dessus de la forêt. Me voilà presque au passage, au bas de la barre rocheuse, il y a des petites plateformes herbeuses.

Soudain, un chamois bondit à quelques mètres de moi !!!!! Surprise, il y a dans l'herbe, déjà debout sur ses pattes, un petit chamois nouveau-né ; au sol, le placenta tout frais. Je suis seul avec ce petit bébé chamois qui d'instinct, vient vers moi et voudrait se blottir contre mes jambes. Mais je ne veux pas qu'il me touche de peur qu'il prenne mon odeur et que sa mère l'abandonne. Soudain, je vois arriver sur moi la mère qui revient à toute vitesse et qui me fonce dessus, mais à 2 ou 3 m de moi, elle dévie et m'évite, mais aussitôt elle revient à la charge et cela 2 ou 3 fois.

Gaby Gonsolin en tournée en 2012 © M. Corail - PNE Que faire ? Je dois partir sinon la mère risque d'abandonner son petit. Je reprends ma montée. Arrivé sur le « Coin », il pleut : je décide de rejoindre Londonnière par le « Cordier des Lides ». Le passage franchi, j'arrive à la base de la falaise à la limite de la forêt. Soudain, un animal bondit. Même scénario : une chèvre et son nouveau-né, le cabri encore mouillé et le placenta au sol, mais cette fois la mère disparaît et le petit me tourne autour en chevrotant. Je n'aurais rien à faire pour l'emmener avec moi, mais au bout de 2 ou 3 minutes, il se rend compte que quelque chose n’est pas normal, et il va se blottir au pied de la falaise, ce qui me donne le temps de faire une photo qui sera floue car un télé pour un animal à quelques mètres et en plus avec la pluie... Je pars en espérant que la mère ne tardera pas à revenir retrouver son « bébé ».

Je rentre le cœur rempli par ces rencontres mais soucieux de savoir si le petit a retrouvé sa mère.

Les jolies colonies de vacances, par Pierre Salomez, ancien botaniste au service scientifique

Pierre Salomez en inventaire flore en 2008 © M. Corail - PNE En ce temps-là, je travaillais sur le bocage, milieu à la fois naturel et humain à entretenir, connaître et faire connaître. Le botaniste que je suis se devait d’apporter sa pierre à ce beau projet.

C’est ainsi que, par une belle journée de juin, je me retrouvais au volant d’un véhicule de service sur une petite route étroite et sinueuse coincée entre deux larges haies. Tout en cherchant une petite place pour me garer, mon esprit vagabondait : ce fameux bocage du Champsaur, assurément le plus beau de tous et le plus original à cause d’un élément bien particulier que j’avais un peu oublié ce jour-là…

Je finis enfin par découvrir entre le mur végétal et le goudron un emplacement herbeux de la taille de mon véhicule. Sans hésiter, je m’y engage. Alors, lentement mais inéluctablement, la voiture pique du nez dans l’herbe haute et finit par se trouver dans la position du Titanic en train de sombrer dans les eaux glacées de l’océan Atlantique. En l’occurrence, l’océan était un canal d’irrigation parfaitement entretenu aux rivages verticaux (le fameux élément particulier que j’avais un peu oublié).

Après avoir constaté que les quatre roues tournaient dans le vide et que la voiture ne reposait plus que sur le ventre, je descendis dans le canal et exerçais une poussée sur le capot du véhicule espérant le remettre dans une position plus digne. En vain !

Pierre Salomez en avril 2005 © P. Saulay - PNEBientôt je me retrouvais, errant à la recherche d’une bonne âme susceptible de me venir en aide, l’oreille aux aguets. J’espérais un bruit de moteur, mais… je n’entendais que le chant des oiseaux. Tout à coup, mon attention fut attirée par des cris d’enfants. C’était les enfants d’une colonie de vacances partis en promenade. J’exposais laborieusement ma situation au moniteur responsable des enfants. Il me dit tout net : « Il est hors de question que les enfants poussent votre véhicule. Cela pourrait être dangereux et je suis responsable de leur sécurité. » Redoublant de diplomatie, je finis par obtenir son accord pour que tout le groupe aille voir mon véhicule. J’ajoutais :« Ensuite on avisera et peut-être quelqu’un aura une idée ! »

Ainsi fut fait et l’idée jaillit de l’urgence. Les enfants montèrent un par un sur le siège arrière. Bien serrés, bien entassés, j’en comptais douze, puis treize, puis…

Alors se produisit le miracle de la pesanteur terrestre : l’arrière de la voiture commença à s’abaisser et les roues touchèrent le sol ; simultanément, le capot remonta au niveau de la route. Il ne restait plus qu’à exécuter le geste ultime et salvateur : pousser délicatement le capot vers l’arrière. La voiture recula et les enfants purent sortir en poussant des cris de joie.

Quelques minutes plus tard, il ne restait plus qu’une voiture lambda, judicieusement garée au bord d’une petite route étroite et sinueuse coincée entre deux larges haies.