Au moins 511 bouquetins au total
Les 30 bouquetins réintroduits dans le Champsaur en 1994-1995 ont bien prospéré, puisque les agents du Parc ont compté cet hiver 511 bouquetins. Cette population est aujourd’hui répartie entre un noyau principal autour de Champoléon, qui regroupe 68 % des effectifs, et six noyaux périphériques plus ou moins grands dans le Valgaudemar, l’Embrunais et la Vallouise. Les noyaux périphériques les plus importants sont ceux de Molines-en-Champsaur (56 bouquetins comptés), du Gioberney (53 individus) et de Prapic (34 individus). Comme l’explique Rodolphe Papet, technicien du patrimoine dans le Champsaur, « ces chiffres sont forcément sous-estimés, car on peut manquer des animaux sur les zones de comptage et d’autres peuvent être présents sur des secteurs qu’on ne connaît pas encore. »
Le noyau de Champoléon régulièrement scruté
Sur toute la population du Champsaur, c’est le noyau principal de Champoléon qui fait l’objet de comptages annuels systématiques, « pour avoir des tendances fiables sur le long terme, explique Rodolphe Papet. Si le temps le permet et qu’on a les effectifs suffisants, on essaie de faire les autres noyaux. Ça a été le cas cette année. » Le chiffre de 511 bouquetins observés, le plus élevé depuis le début des comptages, est donc plus lié aux bonnes conditions météo qu’à une forte croissance des populations. Rodolphe nous livre une petite interprétation des résultats : « La population du Champsaur est toujours en croissance. C’est normal, car elle n’est pas chassée et elle n’a pas encore atteint le seuil de capacité du milieu. Mais cette croissance ralentit quand même par rapport aux débuts, avec un effet de palier qu’on a déjà connu à deux reprises. Les populations stagnent quelques années puis repartent à la hausse. On en saura plus dans deux ou trois ans ! Concernant l’indice de reproduction, il est à 0,5. Ça signifie que seulement une femelle sur deux a un petit, ce qui laisse penser à un début de densité-dépendance. »
À gauche, évolution du dénombrement des bouquetins de Champoléon. À droite, évolution de l'indice de reproduction.
Encore des perspectives d’extension
Comme toutes les espèces, les populations d’ongulés sauvages s’autorégulent lorsque le seuil de capacité du milieu est atteint, c’est-à-dire lorsque les ressources alimentaires du territoire se raréfient. « C’est la densité-dépendance, précise Rodolphe, un ensemble de mécanismes biologiques qui se met graduellement en place, très bien documenté par la science. Ça commence par un taux de survie moins important chez les cabris et un âge de première reproduction qui recule de 2 à 3 ou 4 ans. Puis les femelles les moins costauds ne font plus qu’un petit tous les 2 ans. Chez les mâles, le taux de mortalité s’accentue. Enfin, si les animaux sont vraiment "les uns sur les autres", c’est le taux de survie des femelles qui chute. »
On en est encore loin pour cette population qui dispose toujours d’espace pour s’étendre. Comme l’explique Rodolphe, « contrairement à la colonie des Cerces où il n’y a plus vraiment de capacités d’expansion, nous avons encore beaucoup d’endroits favorables non occupés dans le sud du massif des Écrins. Il y a même des connexions avec la colonie du Valbonnais-Oisans, comme prouvé grâce aux colliers GPS posés en 2013. » Il nuance toutefois : « il y a des phénomènes sociologiques chez les bouquetins, qui restent parfois agglomérés. On a l’impression que c’est une espèce qui colonise difficilement de nouveaux endroits ».
Climat et observations
Si Rodolphe n’est pas particulièrement inquiet du ralentissement de la croissance des populations, un autre phénomène est source d’incertitude : l’enneigement de plus en plus déficitaire dans les zones d’hivernage, ces lieux où les bouquetins se rassemblent pendant l’hiver. Certes, le beau temps et la douceur de février ont facilité les comptages avec une bonne visibilité et plus de confort pour les observateurs. « Mais quand les versants sont déneigés, les animaux se dispersent et forment des groupes moins nombreux, ce qui complique leur détection, note Rodolphe. D’un comptage à l’autre, leur nombre peut varier fortement, ce qui affecte la précision des données finales. »