Les campagnols, du Jura à la Haute-Romanche

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En étudiant les similitudes entre la Franche-Comté et le canton de La Grave, en lien avec les évolutions socio-économiques de ces espaces ruraux, une thèse montre comment la spécialisation des pratiques agricoles a favorisé l'accroissement des populations de campagnols terrestres.

L'évolution des pratiques agricoles et l'expansion du campagnol terrestre en Haute-Romanche sont notamment étudiées dans une thèse qui sera soutenue cet automne.

Parallèlement, l'auteur, Guillaume Halliez (Université de Franche Comté), co-signe un article scientifique sur ce sujet d'étude, en lien avec la Fédération départementale des chasseurs du Doubs, le Parc national des Écrins (Eric Vannard et Gilles Farny) et le laboratoire d'écologie alpine de Grenoble (Sandra Lavorel).

campagnol terrestre © Parc national des Ecrins "Cette thèse présente des éléments très intéressants sur des liens pas forcement évidents entre différents aspects d'évolution de notre société" commente Ludovic Imberdis, chargé de mission faune au Parc national des Écrins.

"Elle montre comment l'évolution des pratiques et des paysages impacte la biodiversité et certaines espèces mais aussi comment l'histoire, l'aménagement du territoire, les modifications climatiques et l'écologie se marient » .

« La forme fouisseuse du campagnol, le campagnol terrestre (Arvicola terrestris), était peu documentée dans la vallée de la Haute-Romanche avant 1998 » indique Ludovic.
« Cette année-là, la première colonie a été observée dans le haut de la vallée et la propagation de la population a été suivie pendant 12 ans, jusqu'en 2010. »

Stage dans le Doubs - © E.Vannard - Parc national des Ecrins Dégâts liés aux pullulations de campagnols à la Grave © E.Vannard - Parc national des Ecrins

La dispersion s'est déroulée comme une vague de populations à forte densité. Le Parc national s'est associé avec des territoires déjà touchés par ce type de phénomène pour mieux connaître et gérer ces aspects, notamment les départements du Doubs et du Jura, par le biais de leurs fédérations de chasse respectives.

La thèse de Guillaume Halliez montre que les explosions de populations de micro-mammifères sont l'une des conséquences du développement socio-économique et des changements technologiques dans l'agriculture.
Les petits mammifères sont étudiés en raison des dommages économiques potentiels et leur rôle écologique dans les réseaux trophiques, comme source alimentaire majeure pour les prédateurs.

Moins de labours, plus de campagnols

« L'étude, basée sur l'histoire des parcelles (1810-2001) et l'analyse spatio-temporelle des rotations des cultures, indique concrètement que ces développements de populations de campagnols ont été promus par la présence de corridors de prairies qui augmentent la connectivité des habitats.

Ces corridors sont apparus comme un résultat de la conversion des champs cultivés en prairies à foin où des foyers de campagnols sont apparus ».

Les Fréaux - carte postale ancienne (collection L.Tron)

Les vallées de La Grave ont vu l'émergence d'une population énorme sur une superficie de 10 000 ha en 13 ans.

La colonisation a été facilitée par la diminution des terres cultivées (moins de labours) associée aux "couloirs" formés par les prairies fauchées dans la vallée.

Bien que se produisant à une altitude beaucoup plus élevée et dans une zone qui était cent fois plus petite, les pullulations de campagnols terrestres de La Grave suivent les mêmes tendances générales que celles des montagnes du Jura et du Massif Central.

Souvent, nos régions montagneuses sont considérées comme favorables à la biodiversité et plus respectueuses de l'environnement, mais actuellement, la plupart des régions en Europe a subi soit une déprise agricole (et en conséquence une recolonisation forestière), soit une spécialisation, à l'image de toute notre agriculture.

L'étude souligne que les changements économiques et technologiques dans les années 1950 ont conduit à des pratiques agricoles spécialisées et géographiquement dissociées entre l'élevage et la production de céréales.

Ainsi, si les légumes et des cultures productives sont maintenant pour la plupart situés dans les basses terres, les agriculteurs de montagne se sont spécialisés dans le fourrage pour l'élevage et la production de lait. Dans les Alpes, cette spécialisation agricole a commencé au début du 19ème siècle et s'est accélérée après la seconde guerre mondiale.

Aujourd'hui, en plus de l'intensification agricole, la spécialisation représente l'un des plus grands impacts anthropiques sur la biodiversité et les services écosystémiques. Ainsi, alors que certaines espèces qui dépendent des agro-écosystèmes sont en déclin, d'autres sont considérées comme nuisibles en raison des pertes agricoles qu'elles provoquent.

Plus techniquement, les populations de petits mammifères sont caractérisées par des taux de croissance élevée et une forte compétitivité entre les espèces. En augmentant leur approvisionnement alimentaire, l'intensification peut promouvoir la croissance des populations de petits mammifères. Cette thèse montre que la colonisation de la haute vallée de la Romanche présente des similitudes avec les variations de populations cycliques signalées dans le Jura et l'Auvergne.

Prairies de fauche, pied du Col © B.Nicollet - Parc national des Ecrins

Il semblerait bien que ce soient les obstacles physiques qui jouent un rôle de régulation à l'échelle du paysage.

Si les zones de pâturage sont promues par les mesures agricoles pour accroître la biodiversité, il est important de promouvoir, en même temps, une mosaïque spatiale pour les prairies.

Avoir à la fois des parcelles fauchées, pâturées et labourées permet de diminuer la "connexité spatiale" pour prendre en compte les risques de pullulation de campagnols tout en favorisant la biodiversité.

Une telle stratégie de gestion peut être difficile à organiser, compte tenu des contraintes sur la fauche dans l'espace et le temps, le pâturage du bétail, etc.

Pour Ludovic Imberdis, « développer un système de gestion qui prend en compte ces contraintes sera un défi pour les chercheurs, les écologues et les agriculteurs. Cet exemple montre bien la façon globale et systémique (et forcement complexe) avec laquelle nous devons aborder les questions de biodiversité. »

piege campagnols © C.Albert - Parc national des Ecrins piege campagnols © C.Albert - Parc national des Ecrins

En l'état actuel des connaissances, le suivi des populations a un grand intérêt car il permet de pratiquer des campagnes de piégeage au moment le plus opportun.
Pratiquées au moment où les populations amorcent un nouveau pic, elles permettent en effet d'en limiter sensiblement l'importance, et donc les dégats associés.

Depuis 2010, c'est la communauté de communes du Briançonnais qui coordonne le plan de lutte contre ce campagnol.

Lire : La lutte contre les campagnols dans le Briançonnais

Ecouter la Chronique nature > Quand le campagnol terrestre pullule... avec Eric Vannard, garde-moniteur du Parc national des Ecrins dans le Briançonnais.

Voir aussi :
Un mémoire réalisé en 2011 par Emilie Lucas sur l'analyse de la prolifération des campagnols terrestres dans le Briançonnais
et un article sur la protection du jardin alpin menacé par les campagnols terrestres

 

L'article en anglais téléchargeable ci-dessous est co-signé par Guillaume Halliez, François Renault (Fédération de chasse du Haut-Doubs), Eric Vannard, Gilles Farny, Sandra Lavorel (laboratoire d'écologie alpine, université de Grenoble) , Patrick Giraudoux (université de Franche-Comté). In Elsevier - An International Journal for Scientific Research on the Interaction Between Agroecosystems and the Environment

La thèse de Guillaume Halliez est réalisée sous l'égide du Laboratoire Chrono-Environnement, Université de Franche-Comté/CNRS, en lien avec les Fédérations Départementales des Chasseurs du Doubs et du Jura, le Parc National des Écrins, le Laboratoire d’Écologie Alpine (Université Grenoble Alpes) et l'Institut Universitaire de France, Paris.