Mort du dernier bouquetin géolocalisé des Écrins

-A A +A
Bouquetins mâles vers Roche Robert © C. Coursier - PNE
La nouvelle est tombée le 2 février 2022 : Alexandre, le dernier bouquetin des Écrins équipé d’un collier GPS, a été retrouvé mort à Champoléon, signant la fin du programme de suivi de ces animaux par géolocalisation. Initié en 2013, le programme aura permis une plongée dans le quotidien de 93 bouquetins du massif… et engrangé de nombreux enseignements !

Une fin de vie qui a réservé quelques surprises...

11 janvier 2022 : à la recherche d'Alexandre © R. Papet - PNE 9 janvier 2022 : les agents du Parc national chargés du suivi des bouquetins reçoivent une alerte de mortalité concernant l’animal surnommé Alexandre. Chose étrange, dans les jours qui suivent, les localisations GPS émises par son collier bougent... Pas le choix, les gardes doivent aller vérifier ! Chou blanc pour leur premier repérage, mais Alexandre est finalement observé à la longue vue quelques jours plus tard, bien vivant ! Son collier GPS a probablement dysfonctionné au moment d’un réglage technique.

27 janvier 2022 : le collier GPS d’Alexandre émet une deuxième alerte de mortalité. Après l’expérience précédente, les agents du Parc national se gardent bien de tirer des conclusions hâtives ! Mais cette fois, les localisations GPS des jours qui suivent sont toutes émises du même endroit : au niveau du torrent d’Isola, un endroit froid peu fréquenté normalement par les bouquetins… Lors d’un repérage le 2 février, c’est finalement le cadavre d’Alexandre que les gardes retrouvent dans le torrent, à l’entrée du vallon d’Isola. Équipé d’un collier GPS en 2019 entre les Clots et les Auberts (commune de Champoléon), ce bouquetin mâle de 7 ans avait pour habitude d’hiverner sur les adrets de Champoléon et de passer ses étés au pic de Pian (Molines en Champsaur).

Les déplacements d'Alexandre en 2020

La fin d’un programme ambitieux

Un agent du Parc national récupère le collier GPS sur le cadavre d'Alexandre © R. Papet - PNEAu-delà de la triste nouvelle, la mort d’Alexandre marque le terme du programme de suivi des bouquetins par GPS : il s’agissait du dernier animal équipé, après la mort de Sirac l’été dernier et de Dimanche en décembre 2021. C’est donc l’occasion de revenir sur ce programme novateur qui a profité dès 2013 des progrès technologiques : grâce à la miniaturisation des GPS et au recours aux piles lithium et à la téléphonie satellite, les animaux équipés de colliers ont pu être suivis parfois plus de 3 ans.

Au total, ce sont 171 bouquetins des Écrins qui ont été capturés parmi les 3 populations vivant dans le massif (Champsaur-Valgaudemar, Valbonnais-Oisans et Cerces). 93 animaux (36 femelles et 57 mâles) ont été équipés d’un collier GPS (et parfois rééquipés en cas de panne), et tous ont reçu des boucles de couleurs aux oreilles pour les individualiser. « Mais ce sont bien les colliers GPS qui nous ont donné une idée des comportements des bouquetins », commente Rodolphe Papet, technicien du patrimoine dans le Champsaur. Les colliers ont en effet permis de collecter pas moins de 180 000 données géolocalisées et individualisées !

De nombreuses (et surprenantes !) connaissances à la clé

Sans attendre l’exploitation définitive de ces données, beaucoup d’enseignements ont déjà été tirés du suivi par GPS. Michel Bouche, technicien du patrimoine dans l’Embrunais, nous les présente brièvement. « Tout d’abord, les bouquetins se déplacent plus qu’on ne le pensait. Leurs migrations saisonnières peuvent dépasser les 50 kilomètres et on a ainsi pu montrer des échanges entre les populations du Champsaur-Valgaudemar et celle du Valbonnais-Oisans, ainsi qu’entre celles des Cerces et celles du Val de Suze en Italie. » Ces migrations saisonnières sont d’autant plus surprenantes qu’elles sont très rapides : quelques jours suffisent aux animaux pour passer des sites d’hivernage aux sites d’estive (distants en moyenne d’une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau).

Alexandre le 16 janvier 2022 (dernière observation) © R. Papet - PNE

« Ils bougent également en toute saison, poursuit Michel. On a ainsi pu constater des déplacements, y compris pour des femelles, en plein cœur de l’hiver, sur plusieurs dizaines de kilomètres et en empruntant des cols d’altitude. Les mâles ont tous un regain d’activité en décembre et janvier au cours du rut. Au printemps, ils peuvent effectuer plusieurs aller-retours entre zone d’hivernage et zone d’estive. »

Concernant les itinéraires empruntés, les bouquetins utilisent les versants, les cols, voire les glaciers. « Il ne rechignent pas non plus à traverser les fonds de vallée, précise Michel, alors qu’on a longtemps cru qu’ils privilégiaient les parcours d’arête. »

Hacka, étagne géolocalisée, en 2017 © R. Papet - PNE Maël, mâle géolocalisé, en 2017 © R. Papet - PNE

Même si des individus formant des groupes sociaux (ou familiaux) se retrouvent ensemble plus souvent que d’autres, les stratégies de déplacement sont avant tout individuelles. « Certains bouquetins sont routiniers, explique Michel. D’autres ont un comportement plus aventureux et peuvent coloniser de nouveaux sites. D’autres encore sont casaniers et se contentent de changer de versant d’une saison à l’autre ! » Si les bouquetins Sirac et Dimanche, les 2 grands voyageurs des Écrins, ont beaucoup fait parler d’eux, ce sont des cas qui restent exceptionnels.

Bouquetin mâle devant les Agneaux et le glacier du Casset © C. Coursier - PNE « Grâce à la géolocalisation, on a pu identifier les zones de mise bas des femelles, complète Michel. On a constaté à cette occasion leur fidélité à ces sites. On a ainsi pu mesurer l’hétérogénéité des femelles dans leur contribution à l’effort de reproduction. »

Les agents du Parc national en ont également appris plus sur la sélection de l’habitat par les bouquetins et sur leurs préférences concernant l’exposition, la pente ou la rugosité des milieux qu’ils fréquentent. « Cela nous sera bien utile pour le choix des futures sites de réintroduction », commente Michel.

Dernier grand apport du suivi : les captures ont permis de constituer une base de données sur la biométrie et l’état sanitaire des animaux. Et à ce niveau, le constat est préoccupant… Michel nous en dit plus : « On constate malheureusement que les bouquetins des Écrins sont en contact avec de nombreux pathogènes transmis par la faune domestique, comme les agents responsables de la fièvre Q, du CAEV ou de la lymphadénite caséeuse, maladies qui peuvent avoir un impact fort sur la dynamique des populations de bouquetins. »

Clôture du site web dédié

Autre conséquence de la mort d’Alexandre et de la fin du suivi des bouquetins par GPS : le site internet bouquetins.ecrins-parcnational.fr est en cours de fermeture. Pendant 8 ans, ce site a permis au grand public de suivre en continu et en temps réel les déplacements des bouquetins équipés. Camille Monchicourt, responsable du pôle systèmes d’information au Parc national, nous explique : « Le suivi des bouquetins par GPS était avant tout un programme scientifique, mais nous avons souhaité lui donner une vitrine plus accessible. À l’époque de la capture des animaux, beaucoup d’élèves du territoire ont assisté à l’équipement des bouquetins. Le site web leur a permis de suivre facilement « leur » bouquetin et de continuer des projets pédagogiques avec leurs enseignants. De manière plus générale, on s’est rendu compte que les gens du territoire se sont vite pris au jeu et qu’ils suivaient régulièrement les déplacements des animaux ! »

Continuez à nous aider !Fiche observation bouquetin marqué

Pour conclure, rappelons que si le suivi par GPS est terminé, il est toujours possible (et encouragé !) de transmettre au Parc national ses observations de bouquetins marqués. Pour cela, une fiche est à remplir avec le lieu et la date d’observation et le profil de l’animal aperçu (sexe, couleurs des boucles aux oreilles) : https://www.ecrins-parcnational.fr/sites/ecrins-parcnational.com/files/f...

Un grand merci pour vos contributions !

Le programme de suivi des bouquetins par GPS en vidéo