Nouvelle saison pour les gypaètes des Écrins

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La saison de reproduction des gypaètes barbus a débuté... et avec elle leur besoin de tranquillité ! Un bon prétexte pour revenir sur les derniers rebondissements chez les couples du massif, entre disparition, changements de partenaire, nouveau couple et petit qui tarde à quitter ses parents. Quelques mois dignes d’un feuilleton à suspense, à découvrir dans cet article !

Gypaète barbu subadulte © Rodolphe Papet - PNE Disparition dans le Vénéon

5 août 2024 : les agents du Parc national reçoivent une alerte émise par la balise GPS de Mison, la femelle du couple de Plan du Lac qui niche dans le Vénéon depuis 2021. La balise est immobile, ce qui signifie que l’oiseau a perdu sa balise… ou qu’il est mort. « Pour en avoir le cœur net, il fallait récupérer la balise, raconte Yoann Bunz, chargé de mission faune. Gros écueil : elle émettait depuis un endroit particulièrement inaccessible dans des barres rocheuses en face du hameau de Lanchâtra. Les agents de l’Oisans ont du solliciter l’appui du PGHM pour s’y rendre ; nous les remercions d’ailleurs pour leur aide. » Le 25 septembre dernier, c’est finalement le cadavre de Mison qui a été découvert sur les lieux. Si le rapace a fait l’objet d’une autopsie au laboratoire départemental de Gap, difficile pour autant d’affirmer avec certitude la cause de la mort, comme l’explique Yoann Bunz. « Le corps de l’oiseau reposait là depuis plus d’un mois et il était très dégradé. Mais l’hypothèse la plus probable est un combat avec une autre femelle qui aurait mal tourné. »

En effet, Mison a immédiatement été remplacée par Altitude, une femelle née en 2019 en Vanoise. Si ce phénomène n’est pas exceptionnel chez les rapaces, il marque de manière atypique la fin d’un parcours de vie qui ne l’était pas moins. « L’examen lors de l’autopsie a révélé des traces de blessures anciennes, raconte Yoann. Mison était née en nature dans le Valais, mais avait chuté du nid avant son envol. Blessée, elle avait pu être prise en charge et avait été soignée pendant trois mois en Suisse, avant d’être relâchée en octobre 2017 dans les Baronnies. »

Nouvelle femelle donc dans le Vénéon, ce qui ne semble pas affecter une éventuelle reproduction : selon les dernières observations, le couple est toujours présent sur le site de Plan du Lac.

Nouveau couple en haute Romanche

Gypaète dans sa première année © Cyril Coursier - PNE Un peu plus au nord, on se réjouit doublement. Du côté du trio « historique » de Malaval, tout semble rouler : après l’envol d’un jeune à la mi-juin, les trois gypaètes (une femelle, deux mâles) de la haute Romanche fréquentent assidûment les aires au-dessus du lac du Chambon, côté isérois donc.

Autre bonne nouvelle : après plusieurs années de suspense, un nouveau couple s’est installé dans le secteur. Cyril Coursier, technicien patrimoine dans le Briançonnais, raconte : « Depuis plusieurs années, nous étions intrigués par la circulation d’adultes en haute Guisane. En 2021, un couple s’est installé à Valloire, mais deux ans plus tard, nous avons remarqué deux autres gypaètes qui fréquentaient régulièrement la vallée. Ce n’était pas le couple voisin de Valloire ; ce n’était pas non plus les oiseaux du Chambon. Grâce aux données des gypaètes équipés d’une balise GPS et à la photo d’un passionné de la vallée, nous avons eu la confirmation qu’il s’agissait de Simay, un jeune mâle de cinq ans né en Espagne et lâché dans les Baronnies. Pendant le printemps 2023, on l’a souvent vu voler avec un autre individu à la queue légèrement fourchue. » Malgré les observations attentives des agents du Parc, aucun signe de reproduction n’est détecté l’automne suivant. Il faut attendre le 20 février 2024 pour que survienne un nouveau rebondissement. « J’étais en tournée dans le vallon du Fontenil, se souvient Cyril, et j’ai assisté à un accouplement des deux gypaètes sur les crêtes. Je les ai ensuite suivis aux jumelles pendant 20 minutes. » Si cette observation signifie qu’il n’y avait pas de nidification en cours (les adultes n’abandonneraient pas une couvaison si longtemps), elle signifie également que les gypaètes avaient choisi leur territoire. Cyril confirme : « Quand on observe deux gypaètes ensemble, en plus quand ils s’accouplent, ça veut dire qu’ils sont chez eux, sur leur territoire. »

Le gypaète Simay photographié dans le Valgaudemar © Pascal Saulay - PNE

Tous les yeux sont donc tournés actuellement sur les falaises des environs pour déterminer si le couple va débuter une reproduction, et où. Pour ce dernier point, la balise GPS de Simay fournit quelques indices : « Depuis l’été dernier, Simay fréquente de manière beaucoup plus assidue la haute Romanche que la haute Guisane, nous apprend Cyril. Le couple a été vu début décembre dans le secteur du Grand Clot, sur les contreforts sud du plateau d’Emparis. Il a visité et rechargé en laine deux anciennes aires d’aigles et continue de s’accoupler sur les vires ensoleillées de la vallée. Mais tant qu’il n’y a pas eu ponte, on ne sait pas quelle aire va être choisie... »

Gypaète dans sa première année posé sur une carcasse de bouquetin © Cyril Coursier - PNE À ceux qui s’étonneraient d’une installation si proche du trio du Chambon, pas d’inquiétude à avoir. « Grâce aux données GPS, on voit que Simay ne déborde pas sur le territoire voisin, explique Cyril. Ses vols ne dépassent jamais une certaine latitude à l’ouest, qui correspond à peu près à la limite du département. » Yoann Bunz voit plutôt dans cette éventuelle proximité un élément positif, qui montre que « le secteur est très favorable et attractif. Il n’y aurait pas de problème de compétition alimentaire car le territoire est assez étendu. »

Autonomie tardive dans le Valgaudemar

Dans la vallée de la Séveraisse, nous avions laissé le couple de gypaètes du Bourg au début du mois d’août dernier à l’occasion de l’envol de leur premier gypaéton. Un envol qui a mis longtemps à se concrétiser… Comme l’explique Régis Jordana, technicien patrimoine dans la vallée, « le couple est retourné au nid tout l’été, le petit aussi en quémandant de la nourriture. Jusqu’à la fin octobre, on était plus proche d'une fin d'élevage du jeune que d'une nouvelle saison de reproduction. Rien d’étonnant toutefois, vu la date tardive de ponte et d'envol. » Début novembre dernier, l’information est confirmée : le petit a finalement pris son autonomie et a quitté la vallée. « C’est le cas quand les parents entament une nouvelle reproduction », commente Régis. Ce constat est étayé depuis le début du mois de décembre, avec des observations régulières des adultes rechargeant un nid, en l’occurrence une ancienne aire d’aigles.

Gypaète barbu au-dessus du hameau du Bourg © Marc Corail - PNE

Les dernières nouvelles du Valgaudemar nous réservent toutefois une ultime surprise : l’un des deux oiseaux est équipé d’une balise GPS… qu’il n’avait pas auparavant ! Il y a donc eu vraisemblablement un changement dans le couple, là aussi. Contrairement à Simay en haute Romanche, « la balise n’a pas permis d’identifier un individu actuellement suivi, nous apprend Yoann Bunz. La balise n’est probablement plus en fonction. »

Dans la vallée voisine de la Séveraissette, peu de nouvelles d’Elvio et Novo, le couple de mâles qui a assidûment fréquenté le secteur de Molines l’hiver dernier. Elvio a été observé ponctuellement pendant l’automne, mais jamais accompagné...

Objectif : protéger l’éventuelle reproduction de ces couples

Toutes ces nouvelles sont majoritairement réjouissantes, mais pour qu’elles soient suivies de nombreuses autres (nous l’espérons !), il est nécessaire d’assurer la tranquillité des oiseaux. Depuis le 1er novembre, le Parc national a réactivé les zones de sensibilité majeure (ZSM) pour la période de reproduction à venir. Ces zones concernent la plupart des individus dont il a été question plus haut. En effet, les gypaètes du nouveau couple du Briançonnais n’ayant pas encore choisi leur aire au 1er novembre dernier, la ZSM les concernant sera diffusée lors d’une prochaine mise à jour.

La ZSM de l'Ardouère (Molines-en-Champsaur)  La ZSM de Malaval  La ZSM de Plan du Lac  La ZSM de Rompeau (Le Bourg)

Gypaète dans sa première année © Cyril Coursier - PNE Petit rappel des règles en vigueur dans les ZSM :

  • Dans la zone cœur de la ZSM, toute activité est à proscrire jusqu’au 31 août 2025. Les survols non motorisés de la zone sont proscrits en-dessous de 300 mètres du point le plus haut de la zone.
  • Dans la zone tampon de la ZSM, les activités bruyantes sont à proscrire jusqu’au 31 août 2025. Les survols motorisés (planeurs et drones inclus) sont proscrits en-dessous de 1 000 mètres du point le plus haut de la zone.

Les acteurs locaux et les différentes fédérations sportives sont informés de ces éléments pour garantir le bon respect des règles. Un grand merci à tous pour votre coopération !

À savoir

En fonction de l'état de l'occupation des aires au cours de la saison de reproduction, certaines ZSM vont disparaître et d'autres sont susceptibles d’apparaître (nouveau couple ou nouveau nid).

Un grand merci à tous les bénévoles

Si nous bénéficions d’informations de cette grande finesse, c’est largement grâce à l’implication de passionnés dans les vallées, notamment les membres de l’association Envergures alpines. Le suivi de l’espèce par les agents du Parc national est ainsi régulièrement complété par de nombreuses observations communiquées par ces bénévoles. Qu’ils en soient chaleureusement remerciés !