Retracer l’histoire de la forêt dans le vallon du Lauvitel, grâce à la pédoanthracologie

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Pédoanthracologie ©Denis Fiat PNE

Grâce à de minuscules charbons de bois qui révèlent la nature de l'arbre ou de l'arbuste dont ils proviennent, les chercheurs reconstituent le paysage forestier de ce vallon d'altitude.

Si aujourd’hui la forêt du vallon du Lauvitel est essentiellement constituée d’épicéas et plutôt réduite, il n’en a pas forcément toujours été ainsi. L’étude pédoanthracologique de la Réserve Intégrale a pour but de retracer l’histoire des incendies et de la végétation dans le vallon, préservé des activités humaines depuis plusieurs décennies. Où y avait-il des arbres ? A quelle altitude ? Quelles essences ? Autant de questions auxquelles Brigitte Talon (Institut Méditerranéen de Biodiversité et d'Ecologie IMBE) et son équipe ont tenté de répondre. 

Ces recherches s’inscrivent dans le plan de gestion de la réserve intégrale dont l'un des axes vise à reconstituer l'occupation ancienne du vallon du Lauvitel.

Les charbons, témoins du passé

Observation d'un charbon ©Denis Fiat PNE

La pédoanthracologie se base sur la détection de charbons de bois, témoins de la présence et de la combustion incomplète d’arbres, afin de retracer l’histoire de la végétation en un lieu donné. Ces charbons de bois, malgré leur taille millimétrique et leur état de conservation parfois difficile, peuvent être identifiés au microscope et révéler la nature de l’arbre ou de l’arbuste dont ils proviennent. Des fosses sont creusées, dans lesquelles des échantillons de terre sont prélevés à différents niveaux de profondeur. Il faut ensuite trier les charbons contenus dans ces échantillons, pour identifier leur essence et les dater au 14C.

Cinq fosses ont ainsi été réalisées et analysées en Juillet 2012 dans la Réserve Intégrale, dont trois dans la pessière et deux en-dehors. En 2016, 6 nouvelles fosses ont été creusées, dont 5 au-dessus de la forêt, afin de mieux échantillonner le haut du vallon.

Pédoanthracologie ©Denis Fiat PNE  

Les sols du Lauvitel, de véritables archives

La première campagne de 2012 a mis en évidence la présence de charbons de bois jusque vers 1 950 m d’altitude. Des charbons de bois de pin cembro, essence très rare dans la Réserve actuellement, ont été identifiés, mais aussi d’épicéa, d’érable, de saule, de bouleau et de rosacées genre Prunus. Trois charbons ont pu être datés au carbone 14 : un charbon de saule, daté entre 1437 et 1288 avant JC, soit l’âge du Bronze, un Prunus, daté entre l’an 887 et 1013 (Moyen-Age), et un aulne, daté de la même période (983-1051).

Extraction charbon ©Denis Fiat PNE

L’étude de 2016 a eu pour but de prospecter davantage le fond du vallon, entre 2 000 et 2 200 m d'altitude. Cette deuxième campagne confirme notamment l’importance du rôle joué par le pin cembro dans la composition de la végétation ligneuse d’altitude passée. Deux dates 14C confirment sa présence à 2 060 m d’altitude durant l’âge du fer (entre 400 et 250 ans avant JC).

Mais le pin cembro n’était pas le seul à former la limite supérieure des arbres : il était accompagné localement de mélèze (identification encore à confirmer), de pin à crochets et de saule, voire de genévrier. C’est d’ailleurs un genévrier qui apporte la date la plus ancienne de toute cette étude : 3117-2917 avant JC, soit le Néolithique récent. Comme quoi, les sols du Lauvitel sont de véritables archives. Prélèvement d'un échantillon ©Jérôme Foret PNE

La limite supérieure des arbres a donc atteint au moins 2 060 m d’altitude, en peuplements mixtes (bouleau, saule, aulne, rosacée, genévrier, pin à crochets…) relativement ouverts. Par comparaison, la limite actuelle de la forêt dans le vallon se situe à 1 550 m. Les résultats complets de cette étude vont permettre de mieux comprendre la part des activités humaines dans l’origine des feux, puisque toutes les dates obtenues sont comprises dans la période d’occupation de la montagne par l’homme, et dans la mise en place du paysage tel qu’on le connaît aujourd’hui dans le vallon.

Pour en savoir plus

Rapport ©A. Destanne de BernisRapport de l'étude 2014 - Adèle Destanne de Bernis - IMBE et Université Jean Jaurès, Toulouse

 

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