Le castor de retour dans le parc

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Les gardes-moniteurs du Champsaur ont confirmé la nouvelle en début d’année : après plus d’un siècle d’absence, le castor a fait son grand retour sur le Drac amont en 2023. Si cette découverte constitue une excellente nouvelle, elle suscite également de nombreuses interrogations : comment l’espèce a-t-elle pu arriver jusque dans le Champsaur ? Autant d’hypothèses que d’objections !

Castor sur la Durance © P. Saulay - PNE

Une présence avérée sur 2,7 km de rivière

La bonne nouvelle s’est jouée en deux temps : en décembre 2023, avec la découverte de nombreux indices de consommation sur les arbres (des saules notamment), puis en février 2024, avec la capture d’un individu par piège photo à plusieurs reprises. Marc Corail, garde-moniteur dans le Champsaur, nous en dit un peu plus : « De mi-décembre à mi-février, nous avons prospecté plusieurs kilomètres du Drac à la recherche d’indices frais et plus anciens. Nous en avons trouvé, et cartographié, sur 2,7 km de rivière à Saint-Laurent-du-Cros, Saint-Julien-en-Champsaur et Saint-Bonnet-en-Champsaur. Pour le moment, les recherches plus en amont n’ont rien donné et celles en aval de Saint-Bonnet restent à réaliser. » Au vu du caractère assez récent des indices découverts, l’installation du castor remonterait probablement au printemps 2023.

Premières images du castor sur le Drac (piège photo) © E. Dupuis

Premières images du castor sur le Drac (piège-photo)

Une espèce qui retrouve progressivement ses anciens territoires

Barrage et chantier de castor sur l'Oule (Rosanais) © M. Corail - PNE« Le castor d'Europe était autrefois répandu dans toute la France, nous apprend Marc Corail. Il a connu un très important déclin à partir du 19e siècle, dû principalement à la chasse et à la destruction de son habitat qui ont entraîné sa quasi-disparition du pays. » En 1909, le castor est d’ailleurs le premier mammifère à être protégé en France, dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse et du Gard où une centaine d’individus subsistent encore en basse vallée du Rhône. C’est de cet ultime refuge historique que le castor commence sa recolonisation vers le nord au 20e siècle. Protégé nationalement depuis 1968, il fait également l'objet de plusieurs réintroductions en France.

Aujourd’hui, on trouve le castor dans cinq départements de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur : le Vaucluse, le Var, les Bouches-du-Rhône, les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes. Dans les Hautes-Alpes jusqu’à présent, sa présence était connue :

  • sur la Durance jusqu’au barrage de Serre-Ponçon et quelques affluents (Avance, Luye jusqu’en centre-ville de Gap),
  • sur le Buëch et quelques affluents jusqu’à Lus-la-Croix-Haute et Veynes,
  • du côté drômois, sur l’Eygues et l’Oule jusqu’en tête des bassins versants.

Carte de présence du castor à proximité du parc national © D. Thonon - Faune-France

Carte de présence du castor à proximité du parc national. En vert, données positives ; en rouge, prospections négatives (données Faune-France).

Une arrivée depuis l’Isère peu probable

En Isère, le castor est bien installé et colonise depuis 40 ans le Drac aval jusqu’à Notre-Dame-de-Commiers. Plus en amont, avec quatre grands barrages fortement encaissés à franchir, sa progression vers les Hautes-Alpes paraissait fortement compromise sans d’importants aménagements de franchissement, d’ailleurs difficiles à concevoir vu l’ampleur des ouvrages.

Pourtant, en 2022, des indices de présence de castor sont relevés par un agent de l’ONF vers le pont de Ponsonnas. Soit déjà deux obstacles sur quatre de franchis (Notre-Dame-de-Commiers et Monteynard-Avignonet)... mais encore deux autres barrages de taille à passer avant le Champsaur (Saint-Pierre-Cognet et Le Sautet).

Une progression par le sud ?

Traces de Castor à Saint-Julien-en-Champsaur © M. Corail - PNE Une autre explication reste à explorer : une arrivée par le sud, le castor étant présent dans le Gapençais jusqu’aux portes de la ville. Mais pour cela, « il faut envisager une progression vers le col Bayard via le torrent de Bonne ou le Buzon, commente Marc Corail. Qu’un castor persévère à remonter des petits torrents qui s’amoindrissent au fur et à mesure, ça pourrait être envisageable mais ça reste incroyable ! »

Si certains individus pionniers sont capables de déplacements sur plusieurs dizaines de kilomètres de cours d’eau sans laisser d’indices, l’espèce n’est guère réputée s’éloigner de l’eau. Marc nuance toutefois : « Il arrive de retrouver des pionniers écrasés sur la route parfois assez loin du premier ruisseau, comme c’est arrivé il y a 20 ans au col des Tourettes, entre les bassins de l’Eygues et de l’Oule dans le Rosanais. »

Une circulation parfois difficile pour la faune

Enfin, si la piste d’un relâcher sauvage ne peut être totalement exclue, le castor demeure une espèce protégée dont la capture, la détention et le transport sont interdits (tout comme la destruction d’ailleurs). Aujourd’hui, les enjeux de protection de la nature consistent plus à restaurer les continuités écologiques qu’à réintroduire des animaux. « Il s’agit de réduire les obstacles à la circulation des espèces sauvages, précise Marc. En plus, en partant du principe que les améliorations sont profitables à une espèce comme le castor, il y a des chances qu’elles le soient aussi pour tout un cortège d’autres espèces (poissons, petits carnivores, loutre…). »

C’est dans cette optique que travaillent de concert la LPO, EDF et le SMAVD (syndicat mixte d’aménagement du Val de Durance) sur le bassin versant de la Durance. Leur but : diagnostiquer les barrages au fil de l’eau et proposer des aménagements pour la faune, notamment dans le cadre du plan national d’action 2019-2028 pour la loutre d’Europe.

Arbres taillés en crayons, caractéristiques du castor © M. Corail

Des arbres taillés en crayons, caractéristiques du castor

Le retour de la loutre d’Europe dans les Hautes-Alpes

C’est justement lors d’expertises de barrages, à l’époque pour le castor, que Nicolas Fuento, salarié de la LPO, a fait une autre découverte remarquable en octobre 2017 : des indices de présence de loutre, soit les premiers dans les Hautes-Alpes après plus de 60 années d’absence. Les deux années suivantes, des indices de présence étaient signalés sur une vingtaine de sites entre le pied du barrage de Serre-Ponçon et Sisteron, ainsi que plusieurs captures d’images par piège-photo, notamment à Espinasses et Valserres.

Épreinte de loutre sur la Durance © M. Corail - PNE Trace de loutre sur la Durance © M. Corail

Deux indices de présence de la loutre : à gauche, une épreinte (une crotte) ; à droite, une empreinte

En 2017, du côté isérois du parc national, les agents du secteur de l’Oisans notaient également des indices de loutre sur la Romanche. Là encore, une nouvelle espèce de mammifère protégée pour le parc national, et pas des moindres !

Enfin, à l’automne 2023, Michel Delenatte, pêcheur professionnel sur le lac de Serre-Ponçon, a eu le plaisir d’observer une loutre se déplacer sur la berge avant de se mettre à l’eau dans la baie des Lionnets, juste en amont du barrage de Serre-Ponçon. Depuis, la présence de la loutre a été confirmée à L'Argentière-la-Bessée au début du mois de mars 2024.

Loutre photographiée dans les Alpes-Maritimes © T. Maillet - PNE

Loutre photographiée dans les Alpes-Maritimes

Un des fleurons de la biodiversité des Hautes-Alpes est donc de retour, fruit de la bonne santé de nos cours d’eau... et du travail du plan national d’action loutre coordonné par la DREAL (direction régionale de l’environnement, de l’agriculture et du logement) de la Région PACA.