Quand les aigles laissent des plumes

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Cette année, le parc national des Écrins est un territoire test pour un nouveau protocole de suivi des aigles royaux : estimer le taux de survie des adultes par analyse génétique des plumes perdues dans les aires. En Vallouise notamment, les agents du Parc ont pu accéder, moyennant quelques acrobaties, à trois nids en août et réaliser leurs premières récoltes.

Aigle royal © Pascal Saulay - PNE

Des contraintes liées à la verticalité

Fin juillet-début août, les jeunes aigles s’émancipent, quittant le nid puis le territoire. Pour les agents de la Vallouise, il est désormais possible d’accéder aux aires sans risque pour les oiseaux. Comme l’explique Thierry Maillet, technicien patrimoine, « cette année, sur l’ensemble des couples connus en Vallouise, quatre ont connu un succès de reproduction. Et sur les quatre aires qui ont accueilli un aiglon, trois seulement étaient accessibles. » Car c’est toute la difficulté du nouveau protocole de suivi des aigles par la génétique : il implique de récupérer des plumes, et l’endroit le plus propice pour cela est le nid, souvent accroché au milieu des falaises.

Aigle royal dans son 1er hiver © Pascal Saulay - PNE « Ce sont des opérations lourdes, confirme Thierry. Elles nécessitent d’être à deux ou trois, de reconnaître au préalable si ça passe ou pas, puis de faire tout le parcours d’approche jusqu’à la falaise. » Aurore Seignemartin, garde-monitrice qui a participé aux interventions, complète : « Descendre dans les aires implique de maîtriser des manipulations de corde, comme l’amarrage sur les arbres, la descente en rappel et la remontée sur corde. » Grâce à la création, fin 2024, d’un groupe opérationnel dédié aux glaciers et à la verticalité, d’autres agents du Parc peuvent désormais appuyer Julien Charron, chargé de mission activités de pleine nature et guide de haute montagne, jusque là l’un des rares à intervenir dans ce type de milieu.

Des accès globalement plutôt aisés en Vallouise

En Vallouise, trois opérations ont été programmées en août, sur des aires localisées dans les vallons de Tramouillon, du Fournel et de l’Onde. « La mission a été accomplie, se réjouit Thierry. Nous avons pu accéder aux trois en une semaine. À Tramouillon et au Fournel, l’accès s’est fait facilement, en rappel. Pour l’aire de l’Onde, le passage était possible par le bas en traversant sur une vire. C’est assez exceptionnel d’y accéder facilement comme ça. » Seule une aire, située dans le massif de Montbrison, n’a pas pu être visitée. « Avec un gros surplomb en dessous et une face très raide au-dessus, l’accès était trop compliqué », commente Thierry.

Descente dans l'aire d'aigles de l'Onde © Aurore Seignemartin

Une collecte minutieuse

Descente dans l'aire d'aigles de l'Onde © Aurore Seignemartin Une fois l’aire atteinte, il s’agit de récolter le maximum de plumes, le tout sur des terrasses souvent étroites et exiguës. Aurore Seignemartin raconte : « On cherche des grandes plumes d’adultes, pas trop vieilles, qui ont conservé leur rachis, la base de la plume où se trouve le matériel génétique. On a des gants pour ne pas polluer génétiquement les prélèvements et on place les plumes dans des enveloppes que l’on cachette. » La recherche de plumes d’aigle dans l’aire réserve souvent d’autres découvertes, comme l’explique Aurore : « Dans l’aire de la vallée de l’Onde, nous avons trouvé une plume de tétras lyre, des pelotes de réjection, beaucoup d’ossements de quatre ou cinq marmottes, et de gros os, ce qui n’est pas étonnant car les aigles peuvent être charognards. »

Descente dans l'aire d'aigles de l'Onde © Aurore Seignemartin Descente dans l'aire d'aigles de l'Onde © Aurore Seignemartin

Quelques autres découvertes dans l'aire de l'Onde

Un protocole fruit d’une collaboration interparcs

Des récoltes de plumes sont également en cours dans les autres vallées des Écrins. Tous les échantillons seront envoyés au laboratoire et analysés d’ici mi-2026. Yoann Bunz, chargé de mission faune vertébrée, nous raconte la genèse de ce nouveau protocole. « Au moment du confinement, il y a eu un travail conjoint entre les trois Parcs nationaux alpins pour mettre en place une collaboration sur nos espèces emblématiques. L’idée était de mutualiser les moyens pour éviter que chaque Parc travaille dans son coin. Nous nous sommes répartis les différentes espèces ; dans les Écrins, nous sommes chefs de file pour l’aigle royal et le lièvre variable. » C’est donc tout à fait naturellement que le Parc national des Écrins s’est proposé pour tester ce nouveau protocole d’études génétiques des aigles sur le massif.

Objectif : compléter le suivi des populations

Suivi aigle au col de la Gardette © Mireille Coulon - PNE Jusque là, le suivi scientifique des aigles se focalisait sur la dynamique de reproduction. Yoann explique : « Depuis maintenant 9 ans, chaque secteur suit 2 ou 3 couples chaque année. L’objectif de cette méthode appelée échantillonnage tournant, est qu’à la fin d’un cycle de 5 ans, chaque couple ait été suivi une fois. Grâce à des observations régulières, on peut déterminer si la reproduction a été réussie et donc, en analysant les données sur le long terme, si la population se porte bien. »

Mais ce protocole occulte un autre critère, presque plus important, pour évaluer l’état des populations d’aigles : le taux de survie des adultes. « L’aigle royal est une espèce qui vit longtemps, nous apprend Yoann. Les couples se reproduisent assez tard et restent souvent fidèles. Par conséquent, si on visite régulièrement le nid et qu’on récolte des plumes, on peut déterminer si la femelle a changé, donc si la précédente est morte, et ainsi connaître le taux de survie des femelles. » Cet indicateur a été retenu puisque, comme l’ont prouvé des études ultérieures, il est globalement représentatif de la survie adulte d’aigles royaux au sein d’une population stable.

Aigle royal © Pascal Saulay - PNE

Un test pérennisé ?

Si ce nouveau protocole s’annonce prometteur en termes de résultats, il n’en reste pas moins contraignant. « Deux conditions doivent être réunies, rappelle Yoann. La première est de pouvoir trouver des plumes dans l’aire, ce qui implique que les aigles aient commencé une reproduction. Et la deuxième est de pouvoir y accéder. » Ce qui n’est pas toujours évident : dans le Valgaudemar ou le Valbonnais par exemple, les agents du Parc ne descendront dans aucune aire suivie cette année car elles ne sont pas accessibles. À l’issue de cette première année de test, un bilan des éventuelles difficultés rencontrées sera réalisé. Il faudra toutefois poursuivre cette phase de test sur plusieurs années avant de pouvoir conclure sur la faisabilité de ce protocole.