Une chauve-souris rarement observée

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Une Sérotine bicolore identifiée dans le Champsaur et 7 mentions de l'espèce enregistrées cette année dans la région PACA. Un record pour cette chauve-souris rarement observée. De quoi émoustiller les spécialistes et non moins passionnés des chiroptères !

Avec seulement 25 observations réalisées entre 1974 et 2015, la Sérotine bicolore est actuellement la chauve-souris la plus rarement contactée en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Autant dire que pour les gardes du ''groupe chiroptères'' du parc national des Écrins c'est un peu la quête du Graal.

Serotine bicolore © Marc Corail - Parc national des Écrins

Alors que la dernière mention de Sérotine bicolore dans les Ecrins remonte déjà à plus de 10 ans, "comme souvent dans la nature, c'est quand on n'y croit plus et parfois dans les contextes les plus improbables que les rencontres arrivent" résume Marc Corail, garde-moniteur dans le Champsaur : « ce sera finalement à deux pas de la maison, sur un mur en crépi, alerté par mon voisin, Ludovic Tomasi».

L'animal a déjà passé deux jours sur ce mur extérieur, il est très affaibli, fortement déshydraté en ce début septembre de fortes chaleurs.

Serotine bicolore © Marc Corail - Parc national des Écrins ''C'est manifestement une Sérotine, de taille moyenne, au pelage bicolore avec de beaux reflets dorés sur le dos. Bref Vespertilio murinus, la Sérotine bicolore, pour n'importe quel un-peu-connaisseur des chiroptères. Tellement inconcevable ici, dans ces conditions, que j'envisage d'abord tout sauf elle. Le pelage bicolore : une jeune Sérotine commune; les reflets dorés: un effet d'éclairage de ma lampe frontale; je reprends 3 fois les mensurations...'' raconte Marc !

Installée ensuite à l'abri dans un gîte artificiel, d'où elle pourra sortir à tout moment, la Sérotine y passera finalement 3 jours avant de s'envoler.

Auparavant il aura fallu la déparasiter de plus de 50 tiques, l'abreuver à la pipette et la nourrir d'insectes. Les vers de farine ne semblant pas convenir, c'est l'entomofaune du jardin qui sera mise à contribution avec des résultats très inégaux selon les proies et une prédilection certaine pour les mouches.

La Sérotine bicolore, une chauve-souris... par Parc-national-des-Ecrins - Filmée par Sylvain Abdulhak, la Sérotine convalescente consomme un grillon. 

Serotine bicolore © Marc Corail - Parc national des Écrins Tiques retirés d'une serotine bicolore © Marc Corail - Parc national des Écrins
Un mâle bien affaibli et très parasité : 50 tiques ont été retirées avec soin par Sylvain Abdulhak.

Serotine bicolore © Marc Corail - Parc national des Écrins
La Sérotine consommant une Sylvine

Adapté pour chasser les insectes en plein vol, la Sérotine est d'abord très maladroite et brusque quand il s'agit d'être nourrie à la pince. Idem pour boire mais elle apprend vite et reprend progressivement du poids avant l'envol. Sans cela elle aurait directement été transférée vers le centre de soins de la faune sauvage des Hautes-Alpes

Serotine bicolore © Marc Corail - Parc national des Écrins  
La Sérotine consommant une sauterelle

C'est d'ailleurs d'emblée la démarche à entreprendre pour qui n'est pas habilité à la capture des chiroptères qui, il faut le rappeler, sont toutes des espèces protégées. Il existe également un réseau SOS Chauves-souris *  animé par les groupes chiroptères régionaux de Provence et de Rhône-Alpes  pour répondre aux situations de sauvetage ou de cohabitation. Sur le territoire du parc national, les Maisons du parc peuvent aussi servir de relais.

2016, un record d'observations régionales

L'anecdote aurait pu s'arrêter là, avec quelques belles images, un beau scoop naturaliste et une fin heureuse. Pourtant la Sérotine bicolore semble avoir pris goût à la région cette année, puisque 2016 cumule un record (tout relatif) de 7 mentions pour cette espèce. Contacts acoustiques dans la réserve naturelle des Partias et dans le Champsaur par Sylvain Abdulhak ainsi que dans la réserve biologique du Mont Ventoux par J.C. Gattus (ONF) ; capture sur le site Natura 2000 de Daluis dans le Mercantour et enfin découverte, en novembre, dans le placard d'un chalet au Mont Serein, sur le Ventoux à nouveau alors que jusqu'à cette année l'espèce n'était pas connue dans le département de Vaucluse.

Une vidéo de Pierre Peyret avec l'observation d'une Sérotine sur le Ventoux, en novembre 2016 :

 

Serotine bicolore © Marc Corail - Parc national des Écrins

Dans le cadre du tout récent Atlas des mammifères de Provence-Alpes-Côte d'Azur, Marc Corail a eu l'occasion de co-rédiger la monographie de la Sérotine bicolore avec Mathieu Drousie et Emmanuel Cosson du Groupe Chiroptères de Provence avant même de l'avoir observée.

"Il est toujours délicat d'écrire sur une espèce qu'on n'a jamais vue. Il y a forcément moins d'expérience, moins de vécu même si depuis longtemps sa recherche a motivé et orienté nos prospections sur le terrain, ainsi que nos espérances. Mais jusque là, pas même un petit contact au détecteur d'ultrasons. Dans les Écrins, les rares informations provenaient de spécialistes extérieurs venus faire des inventaires acoustiques sur le territoire du parc national"

Atlas mammifères PACA - LPO - Page Sérotine bicolore

''En même temps, se plier à l'exercice d'une monographie, c'est l'occasion de se pencher sur l'ensemble des données régionales d'une espèce, (pour le coup, 25 données ça va vite ! ) et de consulter toute la bibliographie des études locales afin de mieux comprendre sa biologie et sa répartition (voir en pied de page). Là, ça m'a surtout permis de réaliser à quel point cette espèce était rare et encore très méconnue".

Sa reproduction dans les Alpes françaises reste d'ailleurs toujours à confirmer.

Paradoxalement la première mention régionale, en 1974, est géographiquement toute proche des Écrins. Michel Bouvier, ancien technicien Faune du Parc national, l'avait alors observée dans un cabanon au col de Chabanottes sur la commune de Gap

La seconde mention, 20 ans plus tard, est un contact ultrasonore réalisé par le spécialiste Michel Barataud  au plan d'eau de Saint-Julien-en-Champsaur et donc sur le territoire des Ecrins. Ensuite l'essentiel des contacts régionaux restera indirect, à l'aide de détecteurs d'ultrasons, pour bonne partie dans le Mercantour, plus rarement dans les Ecrins. Jusqu'en 2015, l'espèce n'aura été réellement vue qu'à 5 reprises notamment en 1997 où Philippe Favre, du Groupe Chiroptères de Provence la capturera à Eygliers en ripisylve de la Durance dans le cadre d'inventaires Natura 2000. 

Des éléments de bibliographie pour la Sérotine bicolore

(pour l'essentiel disponible au centre de documentation du Parc national des Ecrins à Charance)

  • Abdulhak S., Colombo R., Gattus J.C., 2015. Site Natura2000 (FR9301511) "Dévoluy - Durbon - Charance - Champsaur". Inventaire des chiroptères. 66 p.
  • Arthur L., Lemaire M., 2009. Les Chauves-souris de France, Belgique, Luxembourg et Suisse. Biotope, Mèze (Collection Parthénope) ; Muséum national d’Histoire naturelle, Paris, 544 p.
  • Barataud, M . 1994.  Inventaire au détecteur d’ultrasons des chiroptères fréquentant les zones d’altitude du Parc National des Ecrins (Alpes, France). Rapport d’étude PN Ecrins. 48 p.
  • Barataud M., Joulot C., Demontoux. D., 1998.  Synthèse des données sur la répartition en France d’Eptesicus nilssoni (Keyserling & Blasius, 1839) et de Vespertilio murinus (Linnaeus, 1758). Le Rhinolophe 13 : 23-28.
  • Barataud M., Giosa S., Demotoux D. 2012. Fréquentation des prairies de fauche par les chiroptères en chasse dans les Alpes du Sud (PN Mercantour ; CC Cians-Var). 28 p.
  • Barataud M. et al., 2013. Bioévaluation des peuplements de Mélèze commun (Larix decidua) dans le Parc National du Mercantour, par l’étude des chiroptères en activité de chasse. 86 p.
  • Dietz C., Kiefer A., 2015. Chauves-souris d’Europe : connaitre, identifier, protéger. Delachaux et Niestlé, Paris, 399 p.
  • Groupe Chiroptères de la LPO Rhône-Alpes, 2014. Les chauves-souris de Rhône-Alpes. LPO Rhône-Alpes, Lyon, 480 p.
  • Groupe Chiroptères de Provence, 2000. Inventaire des chauves-souris du site Natura 2000 ''Dévoluy - Durbon- Charance – Champsaur'' (FR9301511).
  • Groupe Chiroptères de Provence, 2001. Inventaire des Chiroptères du site Natura 2000 ''Rochebrune - Izoard - Vallée de la Cerveyrette'' (Fr 9301503). 145 p.
  • MNHN, version 2 Août 2015. Cahier technique pour l’identification des chiroptères en main et le relevé de données, Paris, 126 p.
  • PNE & CRAVE 1995. Faune sauvage des Alpes du Haut-Dauphiné. Atlas de Vertébrés, tome 1 : Poissons, Amphibiens, Reptiles, Mammifères. Ed. Parc National des Ecrins, Centre de Recherche Alpin sur les Vertébrés, Gap : 303p
  • Gattus J.C.,2012a. Réserve Biologique Intégrale "Bois du Chapitre-Petit Buëch": Inventaire des Chiroptères. ONF Gap .28p.
  • Jaberg, C. 1998. Influence de la distribution des ressources alimentaires sur le comportement de chasse et la sélection de lʼhabitat dʼune chauve-souris insectivore aérienne, Vespertilio murinus (L.). Le Rhinolophe 13 : 1-15.
  • Leuthold, C. & C. Jaberg. 2000. Sélection de lʼhabitat et comportement de chasse dʼune colonie de mâles chez la Sérotine bicolore, Vespertilio murinus, L. (Mammalia : Chiroptera) en Suisse occidentale. Bulletin de la Société neuchâteloise des Sciences naturelles 123 : 95-104.