Lagopèdes : premiers résultats bioacoustiques dans le Briançonnais

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Testée sur le site d'Arsine aux printemps 2018 et 2019, la technique semble prometteuse : l’enregistrement des vocalises des lagopèdes, au printemps, donne des informations sur leurs effectifs mais aussi sur leurs comportements, différents selon que les oiseaux...

Déterminer les effectifs des populations est une clé pour les gestionnaires des espaces naturels. Une généralité pour toute les espèces mais d'autant plus forte pour le lagopède dont la discrétion n'est pas une légende.

Lagopède en vol © P.Saulay - Parc national des Écrins

Jusqu'à présent, des comptages "à l'oreille" sont réalisés depuis plusieurs années pour tenter de dénombrer cette espèce patrimoniale pour le parc national. 

Enregistreur site d'Arsine - étude lagopède - © L.Imberdis - Parc national des ÉcrinsUne méthode de comptage par bioacoustique a été testée au cours des deux printemps 2018 et  2018 sur le site d’Arsine, dans le Briançonnais. Il s'agit de couvrir un pas de temps long et de limiter différents biais d’observations constatés lors des comptages traditionnels dits par « point d’écoute ».. 

"Alors que l’oreille humaine montre ses limites, la bioacoustique semble prometteuse car elle permet de suivre les espèces via des enregistreurs autonomes" résume Ludovic Imberdis,  chargé de mission faune au Parc national des Écrins.

Elle donne la possibilité de suivre les espèces et les populations à plusieurs niveaux : la diversité acoustique donne des informations sur la présence ou l'absence de l'espèce. La quantité de vocalisation est un indice d’abondance et peut même permettre d'évaluer le nombre d’individus…

Frédéric Sebe, bioacoustique Arsine © photos Ludovic Imberdis et Cyril Coursier - Parc national des Écrins suivi bioacoustique lagopède - Jonas Guignet, stagiaire -  © photos Ludovic Imberdis et Cyril Coursier - Parc national des Écrins

Dans le cadre du programme transfrontalier franco-italien CClimaTT, le Parc national a bénéficié de l'appui de Frédéric Sèbe, spécialiste de ce type d'enregistrement à l’université de Saint-Etienne, pour réaliser ces tests sur site.

Jonas Guignet, stagiaire en formation Ecomont à l'université de Savoie Mont Blanc, a étudié les données enregistrées pendant trois mois au printemps 2019, bénéficiant aussi des tests réalisés en 2018.

La signature vocale des individus

analyse signal lagopède - © L.Imberdis - Parc national des Écrins Outre les données sur les effectifs, il a pu repérer également des distinctions dans les comportements des oiseaux selon qu’ils sont installés en couple ou non ou bien s’ils sont en recherche d’un territoire.

Le nombre de balises et la reconnaissance des individus a en effet permis de les localiser. "L’occurrence spatio-temporelle des individus obtenue par le comptage acoustique permet ainsi d’analyser la territorialité des mâles pour distinguer les mâles territoriaux des mâles célibataires en recherche de territoire" commente Ludovic Imberdis, enthousiaste. "La technique permet même d'envisager de suivre les déplacements des individus dans le temps…"

vocalise lago - enregistrement numérique - © Parc national des ÉcrinsPour l’instant, l’objectif principal de cette étude sur Arsine est de tester la faisabilité du comptage acoustique à large échelle, comparé au comptage traditionnel. 

Si elle offre des perspectives, cette technologie est encore en développement et la reconnaissance de la "signature vocale" de chaque individu engendre des analyses de données relativement longues car non automatisées. Une question de temps humain, donc, qu'il s'agit également de comptabiliser...

Lagopède alpin - mâle - enregistrement Deroussen Fernand - Naturophonia - Parc national des Ecrins

 

Lire aussi : A l'écoute des lagopèdes - 2018

Présentation de la méthode bioacoustique aux agents du parc national des Ecrins

Les limites des comptages « à oreille humaine »

Les comptages "traditionnels" par "point d'écoute" consistent à estimer le nombre de coqs présents sur la zone de comptage à partir de détection auditive ou visuelle des oiseaux durant une heure avant le lever du soleil et trente minutes après. 

Deux comptages sont réalisés chaque année avec des résultats variables entre les deux sessions, en raison de plusieurs biais d’observation peu maîtrisables.

lagopède alpin en plumage intermédiaire au lever du soleil -© M.Coulon - Parc national des Écrins

Ainsi, pour une meilleure fiabilité, l’opération doit en effet être répétée plusieurs jours et cela nécessite un important déploiement d’observateurs sur le terrain, en milieu difficile et avec de fortes contraintes logistiques et climatiques . En effet, certains biais font varier les effectifs entre les différents jours de comptage. Dès lors que la portée des chants d’un lagopède peut atteindre le kilomètre, il est difficile d’estimer précisément la position des oiseaux… D’autant que les capacités auditives peuvent différer fortement d’un observateur à l’autre !

Ambiance matinale sur le territoire des lagopèdes © L.Imberdis - Parc national des Écrins Parmi les autres difficultés, dès lors que les mâles vocalisent pendant l’heure précédent celle du lever du soleil, le manque de visibilité réduit également l’efficacité du comptage…. De plus, les mauvaises conditions météorologiques (pluie, vent) peuvent aussi faire varier la distance de détection ou simplement réduire le nombre de chants.

Ainsi, lors d’un comptage « à l’oreille  humaine », les doubles comptages sont probables car deux observateurs peuvent percevoir la même vocalise à deux endroits différents et les définir comme deux individus différents…. Le déplacement des oiseaux peut également influencer les résultats du comptage.

Outre les problèmes de fiabilité, le suivi à long terme et à large échelle n’est pas non plus envisageable avec ce type de méthode, gourmande en temps et en main d’œuvre. La bioacoustique pourrait être une solution... à valider.

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