Le sauvetage des crapauds de la retenue de Libouse

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Avant l'agrandissement de cette réserve collinaire, à Saint-Léger-les-Mélèzes, les amphibiens ont été « déménagés », avec l'aide de bénévoles, dans une mare de substitution. A terme, celle-ci servira de noyau de recolonisation, notamment pour le petit crapaud accoucheur, protégé jusque dans son habitat.

Il y a 20 ans, sur le site d'une ancienne tourbière, à Libouse, la commune de Saint-Léger-les-Mélèzes créait une retenue collinaire destinée à l'enneigement artificiel des pistes de ski.
En quelques années, ce réservoir s'est vu colonisé par diverses espèces végétales et animales (joncs, carex, characées, libellules, amphibiens,...) conférant à cette retenue artificielle, une grande valeur naturelle. Le site abrite en particulier quatre espèces protégées de batraciens dont le triton alpestre et l'alyte accoucheur, un petit crapaud aux mœurs écologiques assez originales.

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De nombreux tritons alpestres sont recensés sur ce site.

Depuis 2006, des comptages occasionnels réalisés par les agents du Parc national avaient souligné la valeur écologique exceptionnelle du site de Libouse, ce qui en faisait une des plus importantes populations inventoriées du département pour le petit crapaud accoucheur...

Récemment, pour faire face à de nouveaux besoins d'enneigement, la station de ski a souhaité agrandir sa retenue. Entre temps, la réglementation sur les espèces protégées s'est renforcée, introduisant, en 2007, la notion d'habitats protégés.

Protection renforcée pour le crapaud accoucheur

Si, pour la grenouille rousse ou le triton alpestre, la loi interdit la destruction, le transport, la mutilation ou la commercialisation, d'autres amphibiens bénéficient aujourd'hui d'une protection supplémentaire mentionnant l'interdiction de porter atteinte aux différents habitats abritant leur cycle de reproduction.

Dans les Hautes-Alpes, deux batraciens sont concernés : le bien rare sonneur à ventre jaune dont les populations régionales ont fortement décliné ces dernières décennies et l'alyte accoucheur qui a massivement colonisé la retenue de Libouse.

Face à cette nouvelle réglementation, la station de Saint-Léger à dû entreprendre une procédure assez contraignante de dérogation pour la destruction d'habitats de l'alyte qui impose différentes mesures d'accompagnements et aménagements.

Depuis que les procédures administratives ont abouti et que les travaux sont engagés, Gérald Martinez, le maire de la commune-station ne peut que se féciliter du déroulement des opérations. "Le Parc a été notre partenaire privilégié. Il n'y a pas eu de blocage a priori et, à force d'explications auprès des différents services, on a pu réaliser le projet dans de bonnes conditions".
Pour que l'opération devienne exemplaire, "quand tout sera terminé, il faudra faire le point pour tirer les leçons de cette expérience, bien définir la méthode pour anticiper et prévoir les budgets en conséquence".

alyte-accoucheur-1200Un bien curieux crapaud

L'alyte doit son qualificatif d'accoucheur au fait que, après l'accouplement et la ponte des œufs par la femelle, c'est le mâle qui prend en charge sur son dos la protection et le transport des œufs... hors de l'eau.

De jour, les adultes sont donc dissimulés à terre sous des branchages dans des tas de pierre ou encore des galeries de campagnols. Cet étrange comportement permet à l'espèce d'échapper aux prédateurs aquatiques. Juste avant l'éclosion le mâle prendra soin de porter les œufs jusqu'à l'eau pour les y déposer...

Pour l'aménageur, ce comportement est une contrainte supplémentaire puisqu'il impose aussi de prendre en compte l'habitat terrestre du crapaud. Cet automne, un important chantier de démontage d'un drain empierré, a dû être mené, sur près de 80 m de long, afin de déplacer les animaux enfouis à l'intérieur.
Autre particularité, en montagne les têtards d'alyte ne parviennent pas à boucler leur métamorphose sur une saison. De gros têtards passent donc l'hiver dans la retenue, ce qui impose aussi de les capturer à l'épuisette avant la vidange de la retenue.

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Une mare artificielle d'environ 200 m2, destinée à accueillir les amphibiens déplacés a été créée par la commune en 2012.

Cet automne, une bâche plastique ceinturant le lac a été installée par les services techniques dans le but de piéger les amphibiens avant leur retour dans la retenue à la sortie de l'hiver.
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Depuis ce printemps, un suivi régulier du site est piloté par le bureau d'étude Geoecolink afin de déplacer les amphibiens vers la mare de substitution.
Le Parc national des Ecrins ainsi que l'ONEMA accompagnent ces mesures, travaux et suivis depuis le début. Une bonne mobilisation de bénévoles est venu également prêter main forte à l'automne et ce printemps.

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L'opération se poursuit. Si grenouilles rousses et crapauds communs semblent avoir terminé leur reproduction, des migrations importantes de tritons sont encore observées fin avril et celles de l'alyte accoucheur ont à peine débuté.

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Crapauds communs et grenouilles rousses bénéficient aussi de l'opération de sauvetage...

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Ce dimanche 27 avril, une trentaine de bénévoles a mis les mains dans la boue et sous les pierres pour contribuer à cette opération de sauvetage.
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Au programme de la journée : le transfert des bêtes situées autour du bassin contre la barrière à batraciens, le sauvetage des larves et individus adultes situés dans l'eau du bassin actuellement vidangé, la création d'abris autour de la mare (végétation, tas de pierre)...

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14-04-libouse-mesures"Nous avons été surpris et impressionnés par l'implication des bénévoles qui sont venus parfois de loin pour contribuer à cette opération" commente le maire, Gérald Martinez. "C'est un aspect très positif".

Le suivi du site mené par le bureau d'étude "Geoecolink" est d'ailleurs riche d'informations sur les populations d'amphibiens et sur leur comportement. Il révèle en particulier des effectifs bien supérieurs à ceux estimés.

Au 27 avril, plus de 550 crapauds communs ont été comptabilisés, une centaine de grenouilles rousses, une trentaine de crapauds accoucheurs et quelque 3700 tritons alpestres !

Et ce n'est pas terminé...

"Chez le triton, on découvre que la migration semble décalée entre mâles et femelles. Une bonne partie semble provenir du mélézin en amont, même si, comme pour l'alyte, on ne connaît toujours rien de leurs lieux exacts d'hibernation"  indique Sylvain Abdulhak (Geoecolink).

"A terme, une fois la nouvelle retenue aménagée, la mare de substitution servira de noyau de recolonisation pour la faune et la flore" précise Marc Corail, garde-moniteur du Parc national des Ecrins. "La création d'une digue submersible dans le nouveau réservoir permettra de conserver au moins une partie toujours en eau pour la faune, quels que soient les besoins de la station de ski"

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A terme, la commune souhaite également valoriser la mare d'un point de vue pédagogique pour les scolaires et les classes de découverte fréquentant la station. Ce site était d'ores et déjà un lieu d'observation pour certaines sorties scolaires encadrées par le Parc national. "C'est aussi le moyen de montrer que la cohabitation est possible entre les besoins de l'industrie du ski, de l'agriculture et de la biodiversité" résume Gérald Martinez.

Toutefois dans un premier temps et jusqu'à l'issue des aménagements de la nouvelle retenue, il est au contraire demandé au public de ne pas fréquenter la mare et ses abords afin de ne pas dégrader le site encore fragile et de permettre une recolonisation efficace de la végétation.

altEt une mauvaise découverte !

La présence de l'écrevisse américaine dans la retenue de Libouse est une bien mauvaise découverte. Cette invasive révèle l'extension importante dans la vallée de cette espèce concurrente néfaste à l'écrevisse à pattes blanches. Cette dernière est une espèce autochtone protégée, bien présente autrefois dans le Champsaur et aujourd'hui en fort déclin.
Le transport et l'introduction de l'écrevisse américaine sont d'ailleurs prohibés.
Pour en savoir plus et identifier les différentes écrevisses, voir le dossier On en pince pour les écrevisses
 

Voir aussi les reportages dans la presse locale :

Sur D'ICI TV : voir le reportage vidéo

Lire l'article du site internet du DAUPHINE LIBERE

Lire la "bande dessinée" réalisée par Alexis Nouaillhat, peintre illustrateur naturaliste installé dans le Champsaur.

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Cliquer sur les images pour agrandir

altLire aussi Le captage et la circée - automne 2013

A Saint-Maurice en Valgaudemar, la collaboration entre la commune et le Parc national a permis de réaliser les travaux d'adduction pour l'eau potable avec des aménagements préservant cette espèce protégée.