Des aigles plus nombreux mais moins féconds

-A A +A
aigle royal - photo Pascal Saulay - Parc national des Ecrins
L'analyse de 35 années de suivi de la reproduction de l'aigle royal dans les Ecrins fait l'objet d'une publication scientifique qui s'appuie sur la veille et les outils mis en œuvre par le Parc national, dans la durée. La fécondité n'est pourtant pas un indicateur de l'état des populations : leur suivi dans les parcs nationaux alpins évolue.

aigle au nid  - photo R.Papet - Parc national des Ecrins Plus ils sont nombreux sur un territoire, moins les aigles sont féconds. Un phénomène dit de « densité-dépendance », déjà connu pour de nombreuses espèces.

C'est aussi ce qui a été constaté dans les Ecrins depuis la création du Parc national. Sa population d'aigle royal, surveillée de longue date par ses agents, a augmenté de 11 à 41 couples territoriaux entre 1981 et 2015… Dans le même temps, leur fécondité à baissé de moitié.  Voilà 40 ans, chaque couple amenait un aiglon jusqu'à son envol quatre années sur cinq. Désormais, en moyenne, c'est moins de un aiglon qui quitte le nid de ses parents, tous les deux ans.

Les raisons de cette baisse de fécondité ont été analysées plus finement par des chercheurs du CEFE (Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive) : Thierry Chambert, spécialisé dans les dynamiques de populations  et Aurélien Besnard, biostatisticien. Les résultats de l'étude font l'objet d'une publication scientifique, parue tout récemment dans Ibis (International journal of avian science) à laquelle ont collaboré plusieurs agents du Parc national des Ecrins, dont Ludovic Imberdis (chargé de mission faune), Christian Couloumy (ancien coordinateur du suivi de l'aigle au Parc national, président de l'association Envergures alpines) et Richard Bonet (chef du service scientifique). Un travail qui repose également sur l'ensemble des données collectées et organisées par des agents du Parc national depuis sa création.

Télécharger l'article publié (en anglais) dans le journal Ibis 2020

Concurrence ou espace de vie ?

L'interrogation posée par les auteurs de l'étude est de savoir si il s'agit avant tout d'une question de « concurrence » entre les individus ou si, seconde hypothèse, le phénomène est surtout lié à l'utilisation de l'espace. Avec l'augmentation de la population, certains couples pourraient être contraints d'occuper des sites moins favorables à leur reproduction.

Aigle en vol - photo C. Coursier - Parc national des Ecrins Chez les espèces territoriales et chez les oiseaux de proie, comme c'est le cas de l'aigle, c'est habituellement ce mécanisme dit de « dépendance du site » qui influence la fécondité, dès lors que les sites de qualité sont de moins en moins nombreux et occupés par une population de plus en plus nombreuse.

Or, les résultats de l'étude des données collectées pour la population d'aigles royaux des Ecrins montrent que les mécanismes d'interaction individuelles pourraient également jouer un rôle important, affectant négativement leurs performances de reproduction.

Aigle en vol - photo D.Combrisson - Parc national des Ecrins

Juvénile et adulte en vol - Aigle royal - photo M.Coulon - Parc national des Ecrins En effet, lorsque la densité augmente, la concurrence pour des ressources limitées (nourriture, espace,..) devient plus intense. Cette concurrence plus élevée entraîne une diminution des apports de ressources par individus et / ou des taux plus élevés de comportements agressifs entre les oiseaux pour la défense territoriale et l'accès à la nourriture. Avec moins de ressources disponibles et plus d'énergie dépensée en comportements défensifs et agressifs, les paramètres démographiques sont affectés négativement.

Dans cette hypothèse, tous les individus de la population sont touchés de manière égale, car ils sont tous exposés à la même concurrence.

De fait, la fécondité a diminué de manière similaire dans tous les territoires. Ainsi, la diminution de la fécondité est fortement liée à la taille de la population mais pas à l'ancienneté du territoire.
Au final, deux mécanismes alternatifs pourraient être en jeu : les interactions négatives avec les aigles voisins et des non-territoriaux ainsi que la contraction des territoires individuels au fil du temps.

Pour autant, cette baisse de reproduction ne donne pas d'information sur l'état de la population. Or, il reste important pour un parc national d'assurer une veille de cette espèce emblématique.

comptage aigle royal embrunais - photo P.Saulay - Parc national des Ecirns Des suivis de longues date, en pleine évolution

Dans les Alpes et dans les autres régions du sud-ouest de l’Europe, les populations d’aigles royaux ont connu une croissance régulière au cours des 50 dernières années grâce à la protection de l'espèce.
Les auteurs de l'étude mentionnent qu'il serait d'ailleurs intéressant d'enquêter, dans certaines de ces autres populations, les tendances temporelles de la fécondité et d’évaluer si les mêmes processus, en lien avec la densité, sont en jeu.

Aires -photo R.Papet - Parc national des Ecrins Mais le suivi de la fécondité des couples d'une population d'aigles nécessite un suivi régulier et structuré. L'équipe pérenne d'un parc national permet ce type de veille. Ainsi, l'étude s'appuie sur la fine connaissance de la population d'aigles du massif, dans chacun des secteurs du parc national, grâce à de longues heures de repérage des aires et de suivi de la reproduction. Autant de données rassemblées au fil des ans dans des tableaux puis dans une base de données numérique, facilitant leur analyse.

comptage aigle royal embrunais - photo P.Saulay - Parc national des Ecirns Au fur et à mesure de l'accroissement des populations, un tel effort de suivi devient très chronophage et peu compatible avec la diversification des missions et la réduction des moyens qu'ont connu les parcs nationaux ces dernières années. De plus, à la lumière des études en la matière (dont celle présentée plus avant), la pertinence d'un suivi axé uniquement sur la reproduction est aujourd'hui questionnée.

Ainsi, quatre parcs nationaux (Vanoise, Cévennes, Ecrins et Mercantour) ont pris l'appui du Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE) et de l'OFB pour trouver des solutions permettant de diminuer l'effort de suivi, tout en maintenant une veille efficace sur les populations.
Un travail d'analyses des données historiques et d'exploration de stratégies d'échantillonnage a été réalisé afin de proposer des pistes d'évolution des protocoles de suivi de cette espèce.

Hormis dans les Cévennes où un suivi exhaustif reste pertinent du fait du nombre couple encore relativement faible, la meilleure stratégie pour détecter des déclins consiste à suivre 10-15 couples chaque année et d'investir un effort de suivi suffisant pour détecter les couples actifs.

La clé étant de s'assurer d'avoir une probabilité de détection supérieure à 90% pour tous les couples suivis une année donnée... Un travail qui bénéficie des connaissances déjà enregistrées dans chaque territoire par les agents des parcs nationaux. Leur présence régulière et ciblée, assortie de protocoles rigoureux doivent permettre d'assurer l'indispensable veille sur cette espèce emblématique.

voir l'article => Analyse et recommandations concerant le suivi des populations d'Aigles royaux dans les parcs nationaux français

L'étude, parue en février 2020, peut être téléchargée ici