Changement climatique : quel avenir pour les alpages ?

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Troupeau de brebis © M.Coulon - Parc national des Écrins
Le réseau Alpages sentinelles apporte ses premiers résultats sur l’impact du changement climatique en alpage, en caractérisant les types d'aléas, leurs conséquences et les marges de manœuvre possibles en termes de pratiques pastorales.

La question du changement climatique est plus que jamais présente dans les esprits, et l'avenir de l'activité pastorale avec. Depuis près de 10 ans, à travers le programme Alpages sentinelles, les bergers, éleveurs, scientifiques, techniciens de l'environnement et professionnels agricoles tentent d'analyser ensemble l'impact du changement climatique sur les alpages et de trouver des solutions d'adaptation à court et long terme pour les activités pastorales.

Un réseau qui trouve sa force dans le dialogue constructif et le partage d'expérience entre tous les acteurs. "Aujourd'hui, les résultats sont là", a annoncé Richard Bonet, chef du service scientifique du Parc national des Ecrins lors de la journée annuelle du programme qui s'est tenue en mars 2017 à Villar d'Arène.

Les acteurs du réseau: scientifiques, agents du Parc national des Ecrins, éleveurs et bergers des Alpages sentinelles du massif des Ecrins, réunis à Villar d'Arène en mars 2017 pour la restitution annuelle du programme.

Ça chauffe en alpage

"Depuis les années 1900, les températures sur nos alpages ont augmenté de près de 2°C", expliquait Christophe Chaix, géographe climatologue à l'Observatoire Savoyard du Changement Climatique dans les Alpes du Nord,. "C'est deux fois la moyenne mondiale. Les zones de montagne sont les zones qui se réchauffent le plus dans le monde."

Sur fond d'augmentation globale des températures, les conséquences se sentent déjà aujourd'hui à toutes saisons avec des aléas climatiques de plus en plus marqués et des événements extrêmes de plus en plus violents: plus de canicules, d'épisodes très secs ou humides, mais cependant pas d’extrêmes froids.

Trois types d’aléas impactent particulièrement la gestion des alpages :
- les années de sécheresse qui jouent sur la quantité d’herbe disponible
- les variations des dates de déneigement d’une année sur l’autre et de la chaleur au printemps qui impactent la vitesse de pousse des plantes, avec des années très précoces et des années plus tardives, et la qualité fourragère.
- le risque de gel après déneigement joue sur la quantité et la qualité de la ressource.

Davantage d'herbe et des modifications des pelouses d'altitude

mesures biomasse végétale - © Leïla Thouret - Parc national des Écrins Depuis presque dix ans, on observe sur les alpages du massif des Ecrins une évolution lente mais réelle de la végétation. La production d'herbe augmente de manière générale. Elle profite pleinement du déneigement plus précoce et des températures plus élevées en début de saison.

Pour autant, ces conditions impliquent aussi un risque de gel augmenté après le démarrage de la végétation et des sécheresses estivales accrues, qui peuvent diminuer la qualité de la ressource. « Les pelouses, dans des conditions ventées ou déneigées précocement, mûrissent beaucoup plus vite, voire trop vite », fait remarquer Laurent Giraud, un des éleveurs du réseau. En effet, la végétation est certes abondante mais pas forcément mobilisable par les troupeaux qui doivent consommer l'herbe en vallée avant de monter dans les alpages où ils peuvent trouver une herbe déjà presque trop mûre.

Relevé pluviomètre - alpage de crouzet-les Lauzes © Cl.Gondre - Parc national des Écrins Les pelouses d'altitude voient leur composition changer progressivement. Sur le long terme, on pourrait observer une remontée progressive des étages de végétation, avec une incertitude sur la vitesse d’adaptation des plantes et des sols à ce changement, ou encore des changements plutôt rapides de végétation sous l’effet d’événements extrêmes, sécheresses et canicules notamment. Des changements de végétation sont déjà observés dans les milieux particuliers comme les combes à neige qui déneigent en dernier et où des graminées, typiques des milieux déneigés d'habitude plus tôt en saison, commencent à apparaître.

"L’effet des pratiques pastorales est indissociable à cette évolution et influence plus les milieux que le changement climatique", précise Simon Vieux, technicien au Cerpam. "Ça montre que l’on a encore des marges de manœuvre via les pratiques pastorales pour influencer la manière dont les milieux peuvent évoluer". Les éleveurs en ont déjà bien conscience. Les acteurs du réseau s’engagent à trouver des leviers pour avoir une gestion durable de la ressource sur nos alpages.

Troupeau de brebis © M.Coulon - Parc national des Écrins

S'adapter à une plus forte variabilité

Les éleveurs et bergers devront faire face à des aléas climatiques de plus en plus extrêmes sur les alpages © Edith Debray Les années se ressembleront de moins en moins, avec des bonnes et des mauvaises années. Les éleveurs et bergers devront donc surtout s'adapter à cette variabilité plus forte des aléas climatiques d'une année sur l'autre. Dans un contexte de changement climatique, les aléas qui étaient extrêmes deviennent « normaux » et si les systèmes ne s’adaptent pas, ils ne seront plus du tout capables de faire face à ces nouvelles situations climatiques.

Pour autant, les modèles qui prévoient un grand changement l’annoncent plutôt à partir de 2040-2050 avec d’un seul coup une forte augmentation des températures de +2 à +3°C. On aurait alors une situation tout à fait nouvelle que l’on ne sait pas encore expliquer. Il faut donc s'y préparer dès aujourd'hui. "Pour l’instant, on peut anticiper parce qu’on ne s’attend pas à un grand réchauffement à court terme, continue Christophe Chaix, et ça laisse des marges de manœuvre pour se préparer sur le long terme". 

Protocole ressources en herbe © Parc national des Écrins Alpages Sentinelles, un programme à l'échelle du massif alpin

Le programme Alpages Sentinelles est né dans le Parc national des Ecrins en 2008 avec au départ 9 alpages suivis. Puis le réseau s’est progressivement élargi à d’autres territoires intéressés par la démarche : Vanoise, Vercors, Chartreuse puis, plus au sud du massif, avec le Mercantour, leLuberon, le parc du Mont Ventoux.

Aujourd’hui, 7 territoires sont engagés dans la démarche, regroupant au total 31 alpages et 37 exploitations, suivis depuis 2 à 8 années selon les cas.

Le dispositif Alpages Sentinelles possède 3 niveaux d’action : des suivis scientifiques sur les alpages, des échanges à l'échelle d'un territoire entre ses différents acteurs, des productions de références à l'échelle du massif alpin. Il permet de récolter des données, les faire parler et produire des outils permettant aux acteurs du pastoralisme de s'adapter à ces changements.
Déja disponible, le livret "Comprendre la changement climatique en alpage (2016)".

La complémentarité des exploitations comme clé d’adaptation aux aléas

Pour les éleveurs de montagne, la sécheresse est crainte principalement pour la constitution des stocks fourragers. Les séquences de pâturage, avant ou après l’alpage, sont peu sensibles à la sécheresse parce que les surface pâturables disponibles sont relativement importantes (anciens prés non mécanisables au printemps, complétés par les repousses sur les prés de fauche à l’automne).

Maurice Rousset et Marie-Cécile Faure, éleveurs locaux (à gauche), et  Laurent Agu, transhumants (à droite),  exploitant l’alpage de Chaillol à Villar d’Arène, se servent de la complémentarité de leurs exploitations pour faire face aux aléas climatiques. © A.Thiard - Parc national des Écrins Par contre, dans les régions méditerranéennes, les sécheresses sont parfois fortes au printemps comme à l’automne, et les animaux peuvent devoir pâturer des surfaces pastorales sensibles à la sécheresse. Dans ce cas, il est parfois intéressant de mobiliser les ressources de l’alpage pour préserver celles de l’exploitation. Face aux aléas climatiques, les systèmes associant des troupeaux locaux de montagne et des grands transhumants des régions méditerranéennes montrent donc une certaine complémentarité.

Sur la photo : Maurice Rousset et Marie-Cécile Faure, éleveurs locaux (à gauche), et  Laurent Agu, transhumant (à droite), exploitant l’alpage de Chaillol à Villar d’Arène, se servent de la complémentarité de leurs exploitations pour faire face aux aléas climatiques.

Moins d'eau dans les massifs alpins

Selon les estimations, on aura dans les vingt prochaines années, les mêmes conditions climatiques que l’on a eues au cours des vingt dernières années, avec des effets tout de même légèrement accentués. Les précipitations devraient rester similaires en quantité au niveau annuel mais réparties différemment en fonction des saisons. La limite pluie-neige va progressivement remonter, sans toutefois passer au-dessus des 1 800 m. Les névés fondent plus rapidement et les surfaces de glacier diminuent.

On observe de manière générale une diminution du débit des rivières au printemps résultant du cumul de plusieurs phénomènes : fonte plus rapide du manteau neigeux, diminution des stocks disponibles en montagne, évapo-transpiration qui devient très forte dès le mois d’avril avec le réchauffement du printemps, végétation qui démarre en avance (la phénologie a environ 10 jours d’avance en moyenne) impliquant une augmentation des prélèvements d’eau par les plantes…

Si on ajoute par-dessus une météo assez sèche, on arrive à des baisses de débit dans certaines rivières des massifs alpins qui sont de 30 % au printemps, par rapport à la situation d’avant les années 80.

Cependant, l’évolution de la ressource en eau est un des facteurs les plus difficiles à analyser et très variable d’une année sur l’autre, voire au sein d’une même année. Un coup de chaud au printemps peut remplir les rivières avec une fonte des neiges rapide, ce qui n’empêchera pas forcément une sécheresse estivale le suivant...


Le projet Alpages sentinelles est financé avec le concours de l'Union européenne : l'Europe s'engage sur le Massif Alpin avec le Fonds Européen de Développement Régional. Il bénéficie aussi du concours du Fonds National d'Aménagement et de Développement du Territoire au titre de la Convention Interrégionale du Massif des Alpes."

Pour en savoir plus

Les observateurs de l'herbe des alpages sentinelles - 2016

Toujours mobilisés pour les alpages - 2014

Le programme Alpages sentinelles alpins

Une culture commune dans les alpages - mars 2013

2011-03-couv-fiche-asTélécharger les fiches techniques

 Alpages sentinelles : un espace de dialogue (2.18 MB)

Les Alpages sentinelles représentent une variété de situations, de caractéristiques naturelles dans les sept secteurs du Parc national. Ils accueillent des troupeaux locaux ou des grands transhumants.
Tous sont gardés. Bergers et éleveurs sont motivés et impliqués dans le suivi.
La gestion est individuelle ou réalisée par un groupement pastoral. En vallée, les exploitations qui utilisent ces alpages développent différentes productions : ovins ou bovins, viande, vaches laitières...

Voir les bilans annuels et des zooms sur certains alpages :  Alpages sentinelles

Alpages sentinelles - Zoom : une année, un alpage

altRéflexions partagées autour des alpages sentinelles - mars 2011

Au-delà des protocoles d'étude destinés à comprendre et anticiper l'impact des aléas climatiques sur les alpages, c'est bien le dialogue et les échanges noués entre les partenaires de ce programme qui sont immédiatement constructifs.

Lire l'article paru dans Alpes Magazine - avril/mai 2011 : Les alpages sous bonne garde

 Alpages sentinelles... du changement climatique - 2010