50 ans d’histoire : Récits de gardes - 4e partie

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À l’occasion des 50 ans du Parc national des Écrins, nous vous proposons de découvrir chaque semaine un pan de l’histoire et des missions du Parc, en images et en témoignages. Pour finir l’année, laissons la parole aux tout premiers gardes-moniteurs, aujourd’hui retraités, qui nous livrent souvenirs mémorables et anecdotes insolites. Un petit aperçu du quotidien de garde il y a quelques décennies !

Mise bas d’une étagne, par Bernard Thomas, ancien garde-moniteur dans le Champsaur

Bernard Thomas observe les bouquetins au Tourond - 2000 © M. Corail - PNE 13 juin 2013. Comme d'habitude en arrivant à la cabane de Valestrèche, je prends plaisir à ouvrir la porte, de trouver cet intérieur bien rangé où chaque chose a sa place. Je suis allé chercher de l' eau au ruisseau, me suis changé, préparer une boisson chaude et entreprendre le jumelage des versants du haut vallon. Chercher les bouquetins est un peu une obsession surtout à cette époque des naissances. En fin de matinée Sylvie mon épouse me rejoint.

A midi, je trouve une étagne couchée sur une belle vire face à la cabane. Vire horizontale couverte de rhododendrons et d'herbes. Cette femelle m'intrigue, elle semble agitée. Peut-être les mouches !

Œil dans la longue-vue, je ne la quitte pas. J'ai comme l'impression qu'elle va mettre bas.

Bernard Thomas en 1991 © PNE13 h 13 - Il vient de naître, non, c' est la poche des eaux qui vient de céder. L'étagne lèche l'herbe. Elle se recouche. Durant plus de trois quarts d'heure, elle sera très active, se levant, se recouchant d'un flanc sur l' autre. Ses pattes sont raides et se soulèvent au rythme des contractions. Elle se lèche le ventre et les tétines régulièrement.

Je vois le bout des sabots du cabri qui pointent. Le rythme des contractions s'intensifie. Je compte plus de 30 contractions à la suite avant la naissance. Les petites pattes gigotent, allez, encore un effort.

14 h 04 - Enfin le cabri roule dans l'herbe et les rhodos. La mère se lève et lèche le nouveau né.

Quelques minutes plus tard, il secoue la tête et les oreilles, il écoute son nouveau monde. Elle le laisse quelque instant pour lécher l'herbe. Il essaie de se lever mais seules les pattes avant obéissent. De nouveau la mère le lèche.

Un quart d'heure après sa naissance, il est sur ses quatre pattes. Il esquisse des pas maladroits. De couleur gris, il a le pelage encore humide. Il s'arc-boute aux coups de langue de sa mère et frétille de la queue. La femelle se couche, se relève et continue la toilette de son petit pendant plus de trois quarts d'heure.

Une heure après sa naissance, le cabri prend sa première tétée après voir un peu tâtonné à la recherche des tétines et sa queue frétille d'aise et de contentement.

Déjà il grimpe sur les rochers !

Avec les cinéastes, par Christian Baïsset, ancien garde-moniteur en Vallouise

Fin novembre 1995, la neige recouvre le massif. Vers 1 500 mètres d'altitude, la couche atteint 20 cinq à 30 centimètres, selon l'exposition. C'est une belle et froide journée qui s’annonce ! Ce matin, pas un nuage, le froid est mordant. Avec Robert, nous avons pour mission d'accompagner deux cinéastes, de trouver une harde de chamois, et d'assurer la sécurité de ces deux gars. Malgré la neige, le Pré de Madame Carle est accessible en voiture. Face à nous, les planes de Dormillouse, zone d'hivernage d’une centaine de chamois.

Christian Baïsset à l'abri Puiseux en 1999 © C. Gondre - PNE Nos braves cameramen n'auront pas trop à marcher. Versant sud au soleil, ciel bleu, température agréable et une importante harde pas trop haute, le scénario idéal pour faire de belles images.

Mais non, ça ne convient pas à nos gars !

Pourquoi ? Trop prêt de la route!

Avec Robert, nous nous consultons. La décision est prise, retour sur Ailefroide, et là, nous rejoindrons Soureillan sous le Petit Pelvoux par le Pas la Rosse. Là haut, pas de voitures, sûr de voir des chamois. Plus loin et plus délicat d’accès aussi. Pas la Rosse, ça grimpe raide, des dalles de rochers à traverser recouvertes de neige. Ce passage permettait autrefois aux bergers de rejoindre l'alpage de Soureillan sans faire le tour par les sources Puiseux. Accès plus court, plus exposé !

Nous quittons les voitures au parking de Celse Nière. Après la passerelle de Clapouse, nous laissons le sentier sur notre gauche, remontons les éboulis. Plus haut dans le fond du ravin, 30 centimètres de neige. Ça va être sympa et sportif là haut !

Robert et moi nous relayons pour faire la trace, nos deux loustics tirent la langue. Après plus d'une heure de montée, nous atteignons la base d'une cheminée ; mais avant, il nous faut traverser des dalles glacées, inclinées, raides, couvertes de neige ! Nous attendons nos gars et profitons de nous désaltérer. Ce n'est pas la première fois que nous passons là, par tous les temps, même la nuit !

Une quinzaine de minutes après, ils arrivent enfin. Robert s'engage, traverse les dalles et rejoint la base de la cheminée. Il nous met en garde :

- Attention, il y a de la glace dessous !

Je le rejoins :

- Et les gars faites gaffe, ça glisse !

Nos deux gars hésitent, s'engagent, glissent. Ils ne risquent pas grand-chose, au pire une chute de quelques mètres, puis il y a de la neige, ça amortit. Ils sont mal chaussés, des tennis !

Robert commence sa progression dans la cheminée, il déblaye la neige.

Je me retourne vers eux, ils ne sont pas à l’aise.

- Les gars, déchaussez-vous, la glace collera au tissu de vos chaussettes, et ça passera mieux !

Sitôt dit, sitôt fait, nos deux cinéastes se déchaussent, chaussures à la main ils traversent sans problème, se rechaussent, et nous continuons notre progression dans plus de 50 centimètres de neige. Plus haut, je prends la tête du groupe. Encore une dalle très exposée mais là, pas de glace, une fine couche de neige soufflée. (C'est le dernier passage délicat avant les alpages, les bergers posaient leurs grands manteaux en drap Bonneval sur la dalle rocheuse, et les ânes passaient ainsi sans glisser.)

Torrent de Celse-Nière à l'automne © T. Maillet - PNE Vers midi, nous sommes en poste. Il fait chaud, le ciel est bleu, pas un nuage, et le soleil est de la partie. Avec Robert, nous posons devant un abri sous roche. Pause casse-croûte pendant que nos loustics s'approchent d'un groupe d'une trentaine de chamois, s’installent pour filmer. Nous n'intervenons à aucun moment, le temps passe vite, le soleil disparaît. Encore quelques images, il faut penser à redescendre !

- Vous n'avez pas froid les gars ?

- Non non, ça va !

Nous récupérons le matériel, cameras, batteries et pieds, ça ira plus vite !

De la neige jusqu'aux genoux, en file indienne, nous traversons un grand ravin vers Souleillas pour rejoindre le sentier sous le refuge du Pelvoux. Il fait nuit lorsque nous retrouvons le sentier en amont des sources Puiseux. Une heure plus tard, nous sommes aux véhicules, nos deux amis, chaussures et bas de pantalon glacés, transis de froid ; ils ont du mal à articuler pour parler !

Pour nous, c’est mission accomplie !

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