Alpages sentinelles : des pistes pour s’adapter au réchauffement climatique

-A A +A
Les partenaires des Alpages sentinelles des Écrins ont fait le point sur les caractéristiques de l’année 2018, la plus chaude depuis le début du dispositif ! Ils ont aussi échangé sur l’intérêt d’adapter la gestion pastorale aux variabilités locales du climat.

L’année 2018 a été l’année la plus chaude depuis le début du XXème siècle… et donc depuis le début du dispositif de suivi des alpages dans les Écrins voilà une dizaine d’années. Un point saillant dans les suivis des milieux engagés sur le territoire, en lien avec l'évolution du climat. C'est le cas pour le programme Alpages sentinelles, dont la restition annuelle a eu lieu le 19 mars à l'Argentière-la-Bessée. 

Journée annuelle "Alpages sentinelles" dans les Ecrins - mars 2019 - L'argentière-la-Bessée - © Solène Abert

Caractéristique de ce projet, la présence d’une diversité d’acteurs est aussi l'un de ses atouts. Ils étaient une trentaine à s'être mobilisés pour cette journée d'échanges, dont la Chambre d’Agriculture des Hautes-Alpes, le CERPAM, des éleveurs et bergers, les instituts de recherche de l’IRSTEA et de l’INRA, sans oublier les agents du Parc national des Écrins, quelques élus et un consultant du Parc national du Grand Paradis, partenaire du projet LIFE Pastoralp.

10 mois plus chauds que les normales

En France, en 2018, c'est une augmentation de +1,4°C qui est donc enregistrée par rapport à la normale de référence 1981-2010, avec 10 mois plus chauds que les normales de saison. Les Alpes du nord et du sud se sont réchauffées respectivement de +2,2°C et +1,96°C, respectivement, contre +1,1°C pour la moyenne mondiale.

températures-1900-2018 dans les Alpes françaises

Dans les Alpes et depuis 1959, l’été est la saison qui se réchauffe le plus (+2,9°C) suivi de près par le printemps (+2,65°C), avec par conséquence un impact sur le déneigement. Dans le Parc national des Écrins, des températures records ont été enregistrées : +3,93°C en avril 2018 à Saint-Christophe-en-Oisans et +3,13°C en juin 2018 à Embrun, par rapport aux températures enregistrées entre 1981 et 2010 par ces stations.

L'ensemble des résultats des mesures physiques réalisées sur les alpages sentinelles des Ecrins a été présenté par Clotilde Sagot qui coordonne ce sujet au service scientifique du Parc national des Écrins.

Une sécheresse plus marquée en vallée

Relevé alpage Crouzet sur le quartier d'août © M.Bouvier - Parc national des Écrins L’année 2018 n’a cependant pas connu de sécheresse et n’a pas été déficitaire en pluviométrie, même si des disparités locales existent. Le déneigement s’est fait assez tardivement et le début de la saison a été assez chaud et pluvieux. D’après Simon Vieux, ingénieur pastoral au CERPAM, cela a permis une bonne pousse de l’herbe, malgré une certaine contrainte sanitaire liée à l’humidité pour certains troupeaux. Le mois d’août a été marqué par des épisodes orageux localisés, maintenant l’appétence de l’herbe. Le mois de septembre a, par contre, été chaud et sec.

Sur les exploitations et malgré de la pluie en mai, Nathalie Girard de la Chambre d’Agriculture des Hautes-Alpes, qui s’occupe du suivi des exploitations du réseau, a constaté une récolte de foins assez moyenne. Certains éleveurs ont même été contraints d’acheter du fourrage. Cela peut s’expliquer par un manque d’eau en avril ou comme un contre-coup de l’année 2017, marquée par la sécheresse.

La gestion pastorale est déterminante

Le dispositif alpages sentinelles a aujourd’hui montré que le changement climatique en alpage se traduit par une augmentation des températures, une diminution du déneigement à moyenne altitude et une augmentation du risque de gel après déneigement, avec un bilan hydrique en baisse.

On notera une forte variabilité interannuelle dans la production d’herbe, d’autant plus accentuée si le milieu est productif. En termes de composition floristique des pelouses, on observe une banalisation des combes à neige.

brebis Surette © D.Vincent - Parc national des Écrins

La durée passée en alpage par les troupeaux semble aussi augmenter. La gestion pastorale est primordiale pour pérenniser la quantité et la qualité de la ressource. Un point crucial qui fait l'unanimité. D’après Laurent Giraud, un éleveur du réseau,  « à pluviométrie égale, la ressource ne sera pas la même en fonction de l’utilisation pastorale de l’année précédente » (chargement, pression,…).

Autrement dit, si l’alpage est trop chargé une année donnée, l’herbe repartira moins bien l’année suivante. Selon Richard Bonnet, chef du service scientifique du Parc national des Écrins, cette affirmation prend d’autant plus de sens sur les quartiers d’alpages hauts en altitude, moins résilients au changement climatique et aux fortes pressions de pâturage.

Zoom sur... l'alpage de la Grande Cabane

Grande cabane - © JP Telmon - Parc national des Écrins Cette année, c’est l’alpage de la Grande cabane qui, parmi les alpages sentinelles des Ecrins, a fait l’objet d’une présentation plus détaillée.

Le groupement pastoral du Fournel regroupe 6 éleveurs répartis sur les alpages de la Grande Cabane et de Crouzet-les-Lauzes. Il s’étend sur une grande surface (1270 ha), et accueillait en 2018 un troupeau de 1580 brebis et 200 agneaux, bien que la charge maximale puisse atteindre jusqu’à 2200 bêtes.
La durée de pâturage est d’environ 130 jours, supérieure à la moyenne des alpages des Hautes-Alpes (plutôt 115 jours). La ressource en eau est relativement abondante sur l’alpage, avec de nombreux points d’eau naturels.

Cabane de la balme sur l'alpage grande cabane © C.Sagot - Parc national des ÉcrinsConcernant la saison 2018, le déneigement sur les quartiers hauts en altitude s’est fait tardivement et la pluviométrie sur l’alpage de la Grande Cabane a été supérieure à la moyenne mensuelle (Pelvoux 1961-2010) en juillet et août, mais très déficitaire en septembre. Cela s’est traduit par l’assèchement d’une source sur un des quartiers, impactant la conduite du troupeau.

D’après les résultats recueillis sur l’alpage depuis 2012, la biomasse tendrait à augmenter. Cela pourrait effectivement être associé au climat mais, point de vigilance soulevé par les éleveurs utilisateurs de l’alpage, le début des mesures concorde également avec une diminution des effectifs.

Troupeau et chiens de protections- alpage grande cabane - © P.Brien © Parc national des Écrins Émilie Crouzat, chercheuse à l’IRSTEA s’est quant à elle penchée sur la vulnérabilité de cet alpage au changement climatique : un alpage très exposé à la sécheresse, tardif, plus exposé au gel après déneigement que la moyenne et présentant un étalement du printemps très important et fortement variable d’une année à l’autre. Ces caractéristiques sont le reflet des surfaces importantes de quartiers hauts en altitude, les parties basses de l’alpage étant constituées de queyrellins précoces.

Cédric Dentant, botaniste au Parc des Écrins, a justement analysé l’évolution de la composition des végétations sur les queyrellins de la Grande Cabane (relevés des lignes de lecture tous les 5 ans depuis 1995) : la queyrel (ou fétuque paniculée) régresse, avec une forte progression d’autres espèces telles le brachypode pennée sur le queyrellin de La Folie ou la fétuque noirâtre sur le queyrellin de La Balme. L’objectif de maîtrise de la queyrel est donc atteint même si le site n’a pas forcément gagné en biodiversité ou en valeur pastorale pour l’instant.

Les éleveurs et bergers du réseau ont soulevé l’importance des modes de gardiennage pour la gestion de ces milieux, et tous les membres du réseau se sont accordés pour dire que le fait d’avoir des effectifs n’atteignant pas le maximum de la capacité de l’alpage permettait une grande souplesse d’adaptation, notamment lors des années sèches.

fiche observation alpage © Parc national des Écrins La question du vent et de la ressource en eau

Plusieurs points de discussion ont été soulevés par les différents acteurs du dispositif alpages sentinelles, dans le but d’amener de nouvelles pistes de travail et de réflexion. Le vent n’est par exemple actuellement pas mesuré sur les alpages mais éleveurs et bergers le perçoivent comme s’étant intensifié. Il s’agit d’une donnée précieuse car le vent agit sur les végétations et les sols via la température et l’hygrométrie.

La problématique de la ressource en eau a également été abordée, et même si pour le moment il n’existe aucun protocole permettant de mettre en place un tel suivi, tous les acteurs s’accordent sur le fait qu’il serait intéressant d’entamer des premières réflexions et des premiers tests sur cette thématique.

Souplesse, adaptation et retour d’expérience

alpage crouzet - suivi photo ALpages sentinelles - © Parc national des Écrins Vincent Bellot, un des éleveurs du réseau et président du groupement pastoral du Fournel a souligné l’intérêt du piège photo, un des outils utilisés dans le dispositif pour suivre le déneigement et la pousse de la végétation. Cela permet d’optimiser le pâturage (monter au bon moment au bon endroit) et pourrait aussi permettre de voir l’impact que la gestion pastorale d’une année donnée peut avoir sur l’année suivante.

Décrite comme figeant les systèmes agricoles et pastoraux, la Politique Agricole Commune a, quant elle, subit quelques critiques : de l'avis des professionnels, elle freine l'adaptation au changement et à la variabilité interannuelle qui est pourtant souhaitable. Le besoin d’une plus grande souplesse dans la gestion est en effet indispensable pour s’adapter aux fortes variabilités interannuelles citées précédemment.

Le dispositif alpages sentinelles souhaiterait aussi améliorer le retour d’expériences de terrain sur les impacts des différents modes de conduite des troupeaux sur la végétation. Enfin, le besoin de mieux faire circuler l’information à la fois entre les différents acteurs du dispositif et vers l’extérieur se fait sentir notamment du côté des éleveurs et des bergers, pour diffuser les avancées, ouvrir les réflexions et partager les débats avec le plus grand nombre.

mai 2018- mesure biomasse végétale © Gabillet Marine (Irstea) PASTORALP : quelles stratégies d’adaptation au changement climatique ?

Le programme LIFE PASTORALP est un programme européen et un partenariat franco-italien ayant pour objectif de réduire la vulnérabilité et d’accroître la résilience des pâturages alpins face au changement climatique, cela à travers deux études de cas : les Parcs nationaux des Écrins en France et du Grand Paradis en Italie. Divers instituts de recherche à la fois français et italiens travaillent ensemble sur ce sujet, avec le but d’élaborer des stratégies d’adaptation au changement climatique à différentes échelles. Parmi les partenaires, l’IRSTEA, l’INRA et les Parcs nationaux des Écrins et du Grand Paradis étaient présents à cette journée d’échanges.

Ce programme permet la mise en place d’actions expérimentales et de recherche, telles par exemple la réalisation de diagnostics pastoraux de vulnérabilité climatique, la mise en place de relevés de végétation sur des lignes de lecture, l’installation de capteurs permettant de mesurer l’intensité de photosynthèse et la phénologie des végétations, l’élaboration d’une méthode de cartographie de la végétation par télédétection, ou encore l’analyse sociologique des relations entre partenaires, éleveurs et bergers. Tous ces éléments participent au développement des connaissances relatives au changement climatique en alpage et sur les exploitations, et peuvent aussi se révéler précieuses au dispositif Alpages sentinelles.
PASTORALP : les pâturages face au changement climatique

Pour en savoir plus