
Si l'été n'est pas le moment privilégié pour rechercher et inventorier les escargots (1), c'est pourtant à cette saison, le 7 juillet 2019, qu'est intervenue la découverte, à 1 430 mètres d'altitude dans le sud des Écrins, d'une nouvelle espèce pour la France.
La publication d'un article scientifique dans le journal de référence pour la malacologie vient asseoir cette observation originale, en posant la question de ses origines.
Sur les hauteurs de Réallon, ce sont donc de petits escargots de moins d'un centimètre, bien vivants, qui ont attiré le regard plutôt spécialisé de Damien Combrisson, chargé de mission "invertébrés" au Parc national des Ecrins, et expert en malacologie (la science des mollusques) continentale.
Toutes les vérifications d'usage ont été faites pour identifier la trouvaille : il s'agit de Fusulus interruptus (C. Pfeiffer, 1828) membre de la grande famille des Clausiliidae Draparnaud.
L’identification a été validée par Olivier Gargominy et Gerhard Falkner, spécialistes en malacologie au MNHN (Musée national d'histoire naturelle). (2)
La découverte d’une nouvelle espèce pour la faune de France souligne et renforce l’intérêt de maintenir un niveau de connaissance important sur les mollusques continentaux, particulièrement au sein des Alpes qui accueillent de nombreuses espèces endémiques (3).
"En dehors des conditions d’hygrométrie locale qui vont influencer le rythme d’activité des mollusques, c'est la nature des sols, et en particulier sa composante géologique, qui est également déterminante pour expliquer la diversité spécifique et l’abondance des différentes espèces" précise Damien.
"Ainsi, les roches calcaires sont particulièrement attractives pour ces espèces. Intimement lié à son habitat, l’escargot va en effet extraire du carbonate de calcium nécessaire à la construction de sa coquille, à partir des éléments minéraux présents à proximité".
Sur l'image, un aperçu de l'habitat dans lequel le petit esgargot a été découvert.
Or, les aiguilles de Chabrières forment un ensemble géologique calcaire incongru parmi les schistes noirs de l’Embrunais... C'est là que Fusulus interruptus a été repéré.
Comment est-il arrivé là ?
C'est la grande question.... alors même que cette observation se situe à près de 500 km de la plus proche localité de l’aire de répartition actuellement connue en Europe, située sur le haut plateau Il Cansiglio, dans les Préalpes bellunaises en Italie nord-orientale. De quoi poser des questionnements légitimes sur son origine.
Parmi les différentes hypothèses, celle d'un déplacement d’origine anthropique est envisagé. Ce ne serait pas la première fois.
"Les escargots et limaces n’étant pas spécialement reconnus pour leur capacité de déplacement, nombre d’entre eux a été déplacé, volontairement ou non, et ce depuis l’époque de la Grèce antique" commente Damien Combrisson.
C'est ainsi que l’escargot petit-gris (Cornu aspersum) a colonisé la France métropolitaine par exemple. Des exemples contemporains de ces migrations sont à l’œuvre actuellement sur le territoire du parc national avec l’escargot turc Helix lucorum Linnaeus, 1758 ou bien encore l’hélicelle des Balkans, Xeropicta derbentina (Krynicki, 1836) considérée comme invasive et dont des individus ont été retrouvés en zone cœur du parc national des Ecrins, au Prè de Madame Carle, mais sans que la viabilité d’une population ait pu être mise en évidence.
Une autre hypothèse, d'origine naturelle celle-là, considère que cette population de F. interruptus de Réallon serait une "population relique" ayant trouvé refuge durant les dernières grandes phases de glaciation (Riss et Wurm) au sein de cette vallée alpine.
"Le contexte d’une zone à forte naturalité et portant sur une espèce forestière typique d’un espace zoogéographique alpin nous a conduits à développer l’hypothèse d’une origine naturelle historique de ce taxon en France, sur la base de données paléologiques mettant en évidence une répartition européenne plus vaste que celle connue actuellement".
Un nunatak pour refuge ?
De nombreux travaux portant sur l’étude des traces fossiles de végétaux ainsi que sur les études moléculaires de phylogéographie basées sur l’analyse spatiale de la variation génétique ont mis en évidence la présence de refuges climatiques permettant aux taxons de survivre durant un climat défavorable lié aux périodes de glaciation. Ces zones dénommées « nunataks » sont représentées par des montagnes abruptes dont la partie supérieure s’élève au-dessus de la limite supérieure des glaciers.
Dans les Hautes-Alpes en particulier, l’étude des restes fossiles contenus dans le travertin du col du Lautaret, situé à proximité de la station alpine Joseph Fourier (UMS 2925 UJF-CNRS), a mis en évidence un cortège d’espèces végétales composé principalement de pin à crochets Pinus, d’aulne vert, de bouleau verruqueux, de rhododendron ferrugineux, de sorbier Sorbus ainsi que des graminées datées de la fin du dernier âge glaciaire il y a -11 000 ans.
La découverte de plusieurs fossiles de mollusques continentaux dont des Clausilidae sp., sur une période s’échelonnant de - 9 000 à - 11 000 ans apporte un éclairage nouveau sur les compositions biotiques ayant pu trouver refuge au sein des nunataks. Les facteurs favorisant le maintien de la vie sur ce site d’étude situé à 2 100 m d’altitude sont liés à la pente et à son exposition sud, ainsi que la présence localement d’une source d’eau chaude ayant formé le travertin.
Au sein de la haute vallée de la Durance, la tectonique des plaques a généré une succession de failles dont les principaux témoins actuels de surface sont représentés par la présence de sources d’eau chaude, telles que Le Monêtier-les-Bains, le plan de Phazy sur la commune de Risoul, ou bien encore la fontaine pétrifiante à Réotier.
La station de découverte de F. interruptus présente toutes les caractéristiques (pente exposée au sud, altitude maximale de 2 403 mètres et inclusion dans un réseau de résurgence d’eau chaude) permettant d’imaginer la présence d’un nunatak durant les dernières glaciations qui aurait permis la conservation d’une malacofaune historique. Pour autant, ajoute Damien, "bien que séduisante, cette hypothèse doit naturellement faire l’objet d’études plus poussées dans le domaine des paléo-sciences et de la biogénétique" .
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(1) L’été n’est pas la saison privilégiée pour rechercher et inventorier les différentes espèces de mollusques continentaux (escargots et limaces) qui peuvent être présents sur une partie donnée du territoire. En effet, cette saison qui se caractérise par des températures élevées, se conjugue de plus en plus fréquemment avec un déficit en eau qui ne représente pas l’optimum écologique de la plupart des espèces de mollusques. Pour ceux-ci, la préoccupation principale devient alors la préservation de l’humidité de leur corps en se faufilant sous des abris divers, tels que les blocs de pierres, les souches, la mousse ou la litière humide des sols. Si les conditions d’humidité restent défavorables, la plupart d’entre eux entrera alors dans une période de léthargie, une diapause estivale en attendant le retour d’une pluie féconde…
(2) La biométrie réalisée sur 8 coquilles adultes donne une longueur comprise 8.7 et 9.9 mm (moyenne de 9.2 mm) pour une largeur comprise entre 2.6 et 2.8 mm (moyenne de 2.6 mm). La majorité des spécimens a été recueillie vivante et présente un développement complet.
(3) L’étude des mollusques continentaux, conduite dans le parc national des Écrins à partir du début de l’année 2014 (Combrisson & Maillard 2016) par les agents, a permis de mettre en évidence la présence de 173 taxons (espèces et sous-espèces) rassemblant plus de 3 200 observations à la fin de l'année 2019.
Lire aussi : 2017. Note sur la présence du vertigo des aulnes Vertigo lilljeborgi (Westerlund, 1871) sur le massif du Taillefer en Isère (France). MalaCo, 13: 5-7. Combrisson, D., Vuinée, L.
Pour en savoir plus sur les mollusques dans les Ecrins
- A pas de fourmi, la connaissance s'améliore - 2019
- Grande découverte d'un tout petit escargot - 2017
Le vertigo des aulnes, un petit escargot de moins de 2 mm, a été trouvé sur le plateau du Taillefer l'été dernier. En France, il est connu uniquement sur cinq sites. Il s'agit d'une espèce relique du tardiglaciaire, particulièrement rare et menacée en Europe. - Des cerveaux pour les corps mous - 2017
- Les mollusques des Écrins : un monde à découvrir - 2016
- Gastéropodes - dans la réserve intégrale (ATBI)
Dans la multitude des petites bêtes - 2016
Sur la planète comme dans les Écrins, les invertébrés représentent sans doute plus de 80% de la faune connue... et sont pourtant très mal connus. Dans cette immense diversité, très utile pour les écosystèmes, le Parc national repère quelques espèces "à enjeux" sur lesquelles il tente d'en savoir plus, notamment grâce à l'amélioration des connaissances des agents concernant ces quelques espèces en priorité.