Une maladie semble accroître la mortalité des bouquetins

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C'est l'un des enseignements importants du programme de suivi télémétrique des bouquetins des Écrins : tous les animaux qui ont été autopsiés sont touchés par la maladie caséeuse, courante mais non mortelle chez les ovins domestiques bien alimentés. Les animaux sauvages touchés, eux, sont affaiblis et ne parviennent pas toujours à survivre à la période hivernale. Certaines pratiques pastorales en alpage peuvent réduire les risques de contamination.

Connaître les raisons de la mortalité des bouquetins est l'un des objectifs importants du programme de capture et de marquage d'animaux dans les Ecrins.

"En cas de mortalité, il est en effet possible de retrouver au plus vite les cadavres d'animaux marqués, grâce à un dispositif « d'alerte mortalité » et à la localisation GPS transmise par le collier émetteur" explique Michel Bouche, technicien "patrimoines" du Parc national des Ecrins. Vétérinaire de formation, il coordonne plus particulièrement cet aspect sanitaire, en lien avec le laboratoire vétérinaire départemental des Hautes-Alpes . "La découverte précoce d'un cadavre rend alors possible une autopsie dans de bonnes conditions, ce qui peut permettre de déterminer la ou les causes possibles de la mort."

Recherche bouquetin mort - mars 2016 - Valgaudemar © Parc national des Ecrins Recherche bouquetin - fev 2015 © R.Papet - Parc national des Ecrins

Autopsie sur site réalisée par un agent du parc national des Ecrins © La recherche de ces cadavres est parfois un peu ardue, surtout en hiver. Les agents du Parc national interviennent alors dans le domaine escarpé du bouquetin, parfois très loin des accès routiers.

Il faut ensuite, soit ramener un cadavre de plus de 70 kg, soit « mettre les mains dans le cambouis » pour effectuer une autopsie et prélever les organes internes sur place.

"Grâce à la formation assurée par l'ATEN (atelier technique des espaces naturels) et le Laboratoire vétérinaire des Hautes-Alpes, une partie des agents du Parc national est capable de réaliser une autopsie de l'animal" indique Ludovic Imberdis, chargé de mission faune du Parc national. "Il s'agit d'estimer l'état général de l'animal et de tenter de repérer des lésions externes  et/ou internes. Les organes portant des signes anormaux et les organes filtrants (poumon, foie, rein) sont prélevés pour analyse".

Depuis 2013, sept animaux équipés de collier sont morts, tous entre fin décembre et début mars, soit pendant la période hivernale.

Un huitième animal (Lintt) est présumé mort : marqué au printemps 2013, son collier n'a fonctionné que quelques semaines et l'on est sans nouvelle depuis.

Bouqui n'a pas pu être autopsié - La chaine alimentaire continue © R.Papet - Parc national des Ecrins
Retrouvé trop tard en raison d'un dysfonctionnement de son collier-émetteur, Bouqui n'a pas pu être autopsié. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, la chaîne alimentaire continue.

Tous les bouquetins morts sont des mâles : le fait que les femelles capturées sont en moyenne un peu plus jeunes et la possibilité d'une espérance de vie supérieure à celle des mâles expliquent peut-être ceci.

Pour autant, cette observation corrobore les résultats de suivis démographiques antérieurs en Oisans et Valbonnais, faisant état de déséquilibres dans la pyramide des âges et des sexes, les femelles étant proportionnellement plus abondantes dans les classes d'âge les plus élevées.

Pour trois mâles (César, Cool, Bouqui), le GPS est tombé en panne prématurément. Sans localisation et sans alerte mortalité au moment du décès, ils ont été retrouvés grâce aux émissions VHF de leurs colliers, mais trop tardivement pour pouvoir réaliser des autopsies.

En cause, la maladie des abcés

Quatre autopsies ont pu être menées à bien sur Diégo mort à Prapic en 2014, King et Rissole en 2015, respectivement retrouvés à Entraigues et Champoléon, et Bernard T retrouvé mort à La Chapelle-en-Valgaudemar en 2016.

Fiche abcès - ongulés domestiques et sauvage - PNE Pour les quatre animaux autopsiés, toutes les analyses ont conclu à la maladie caséeuse, encore appelée maladie des abcès ou lymphadénite caséeuse, car le symptôme le plus évident est la formation d'abcès sur la peau ou dans les organes internes et les ganglions lymphatiques.

Cette maladie est causée par une bactérie très résistante dans le milieu extérieur, a fortiori en altitude où le froid la conserve mieux : Corynebacterium pseudotuberculosis.

La transmission se fait par l'intermédiaire du pus libéré par les animaux atteints. Chez les animaux sauvages, outre la contamination directe par contact étroit, la contamination indirecte par ingestion d'herbe souillée ou sur des reposoirs ovins est non négligeable.

Cette maladie est bien connue chez les ovins domestiques : largement répandue dans les élevages, elle cause toutefois rarement la mort d'animaux domestiques bien nourris et entretenus. Il n'existe pas de traitement efficace.

Sur la faune sauvage, par contre, elle affaiblit les animaux atteints, en particulier lorsqu'ils sont soumis à un stress physiologique tel que la pénurie alimentaire hivernale. Ceci peut expliquer la période de mortalité constatée (décembre – mars). Les animaux malades sont alors la proie des parasites ou de maladies infectieuses secondaires qui assombrissent le pronostic vital, ceci particulièrement en hiver.

"La lymphadénite caséeuse a également été identifiée sur plusieurs cadavres de bouquetins retrouvés pendant les tournées des agents du Parc national des Écrins dans les secteurs de l'Oisans, du Valbonnais, du Champsaur et du Valgaudemar" indique encore Michel Bouche. "Mais elle n'est, à ce jour, pas connue chez le bouquetin dans les Cerces, la première population réintroduite en France, dans le Briançonnais".

Groupe de mâles bouquetins Champsaur © R.Papet - parc national des Ecrins

Cette maladie semble être un facteur important de la mortalité observée chez le bouquetin des Écrins et être en partie à l'origine des anomalies démographiques observées sur cette espèce dans ce massif.

La maladie des abcès est plus rarement observée chez le chamois (vraisemblablement plus résistant) et se manifeste principalement par la découverte fortuite d'abcès profonds dans les gigots d'animaux chassés.

"La sensibilité du bouquetin pourrait s'expliquer par une immunocompétence moindre, d'origine génétique ou liée à d'autres pathologies. Des études sont en cours à ce sujet" précise Michel Bouche.

De bonnes pratiques pastorales pour limiter la contamination

La mise en place de bonnes pratiques pastorales, tel que le chaulage de reposoirs, est préconisée dans la charte du parc national. Elles sont détaillées dans le document édité par le Parc national des Ecrins "Ongulés sauvages et domestiques en alpage : risques de transmission de maladies et mesures préventives".

De telles mesures peuvent contribuer à la prévention de la contamination des alpages et à la réduction des risques de contamination, tant pour les cheptels domestiques que pour la faune sauvage. De bonnes pratiques pour favoriser une cohabitation durable et harmonieuse entre pastoralisme et grande faune de montagne.

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Risques et prévention de la transmission des maladies en alpages
Des fiches d'information, fruit d'une thèse vétérinaire réalisée par Justine Dervaux dans le parc national des Écrins qui recense les principaux facteurs de risques liés à la transmission de maladies entre grands ongulés et cheptels domestiques en alpage.

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