Une vie principalement nocturne et en colonies
Actives principalement la nuit, au moment où les insectes s’affairent et où la visibilité réduite les camoufle des prédateurs, les chauves-souris ont développé un super pouvoir : l’écho-location, ou l’art de voir avec leurs oreilles. À la manière d’un radar, elles produisent des ultrasons au niveau de leur larynx, et à la façon dont les ondes leur reviennent, elles peuvent détecter précisément un obstacle, un axe de circulation ou une proie. Au point de pouvoir attraper un moustique en plein vol ! En France, les chauves-souris se nourrissent uniquement d’insectes. En une nuit, elles sont capables d’en consommer près de la moitié de leur poids. De vrais insecticides naturels, n’est-ce pas ?
Dans le monde scientifique, on nomme les chauves-souris les chiroptères. Ce nom, qui vient du grec cheiro : « main » et ptère : « aile », n’a pas été choisi au hasard. À l’exception du pouce, leurs doigts se sont extraordinairement allongés et permettent de tendre une fine membrane de peau qui assure la portance de l’animal en vol. Ces formidables adaptations morphologiques leur valent un vol très agile et précis, plus encore que celui de nombreux oiseaux.
Autre particularité de ces petites bêtes volantes : un fonctionnement en colonies, selon un rythme saisonnier. En novembre, la plupart des chauves-souris se rassemblent, tous sexes confondus, dans des gîtes d’hivernage où elles passent l’hiver en hibernation. L’été, les gîtes de reproduction, souvent les mêmes d’une année sur l’autre, accueillent les femelles (en très grande majorité) qui viennent mettre bas et élever les jeunes. Autour du gîte de reproduction principal, un réseau de gîtes secondaires se déploie : des abris bienvenus quand la chasse les a menées trop loin ou quand les conditions sont moins favorables dans le gîte principal. À l’automne, c’est une période insolite et encore très peu connue qui s’ouvre, le swarming. Des cavités accueillent des regroupements de mâles et de femelles, parfois d’espèces multiples, qui choisissent un partenaire pour s’accoupler. L’équivalent des boîtes de nuit en somme !
Les colonies de reproduction peuvent être de plus ou moins grande taille : de quelques individus à plusieurs centaines de chauves-souris comme à Châteauroux-les-Alpes (Embrunais) ! Dans les Écrins, les sites suivis par les agents du Parc accueillent principalement des colonies de petits et de grands murins, de petits et de grands rhinolophes, et d’oreillards montagnards.
De multiples menaces
Malheureusement, les chauves-souris sont aussi des espèces menacées, dont la plupart ont vu leurs effectifs régresser ces dernières décennies. Il faut dire qu’elles doivent composer avec un voisin pas toujours délicat, l’homme. Il est ainsi fréquent que des travaux sur les bâtiments entraînent la destruction de leurs habitats : rénovation et destruction de vieux bâtiments, aménagement de combles, pose de grillages bloquant l’accès aux clochers… Même les espèces arboricoles sont affectées, car les vieux arbres à cavités, propices à leur installation, sont aussi les premiers coupés.
L’homme est également à l’origine de nombreuses pressions qui pèsent sur les chauves-souris. Du fait de l’utilisation des pesticides et de l’assèchement des zones humides, les populations d’insectes, la ressource alimentaire incontournable des chauves-souris, sont en diminution. Les routes et voies ferrées sont autant de sources de collisions et d’entraves à la continuité écologique, tout comme la pollution lumineuse qui fragmente la trame noire, ce réseau de corridors de vol sans lumière, indispensables aux chauves-souris.
Le dérangement est aussi une source de nuisance importante. L’hiver, chaque réveil intempestif pendant l’hivernation (bruit et/ou lumière) consomme l’équivalent de plusieurs semaines de réserve énergétique de la chauve-souris, compromettant ainsi sa survie. L’été, la tranquillité est de mise dans les colonies de reproduction : un dérangement peut déclencher des avortement chez les femelles en gestation et des chutes mortelles chez les jeunes ; s’il est répété, il peut même causer l’abandon du gîte.
Suivre les colonies connues et les protéger
Toutes les espèces de chauves-souris en France sont protégées et font l’objet d’un plan national d’actions, décliné par régions. C’est donc tout naturellement que le Parc national des Écrins s’implique dans la connaissance et de la protection des chauves-souris. Un groupe opérationnel dédié aux chiroptères a ainsi été créé : composé de huit gardes-moniteurs issus de différents secteurs du parc et formés à l’étude des chauves-souris, il se charge de mettre en œuvre les choix stratégiques de l'établissement vis-à-vis de ces espèces. Dans le cadre des plans d’actions des Régions PACA et Auvergne-Rhône-Alpes, le Parc est responsable du suivi des dix gîtes considérés comme prioritaires dans le massif (notamment du fait de leur composition en espèces et de la taille des colonies qu’ils abritent). Pour chacun d’eux, les agents du Parc réalisent un comptage estival des adultes en sortie de gîte et des jeunes de la colonie. L’objectif, s’assurer de la bonne santé et de la pérennité de ces gîtes sur le long terme.
Il s’agit évidemment des colonies connues, car si les chauves-souris sont de plus en plus étudiées, de nombreuses zones d’ombre subsistent, comme l’explique Yoann Bunz, chargé de mission faune vertébrée au Parc national des Écrins. « Les chauves-souris sont des animaux discrets, qui vivent souvent dans des endroits difficiles d’accès : bâtiments privés, arbres à cavités, falaises, grottes… Nous sommes conscients de ne pas tout connaître, reconnaît-il, même sur la composition en espèces de notre territoire. C’est tout l’intérêt des suivis que nous menons : renforcer notre connaissance de ces espèces, pour mieux orienter nos actions de gestion. »
Parallèlement à ce suivi scientifique, le Parc national mène des actions de protection des gîtes connus. Pendant l’été 2023, une colonie d’oreillards montagnards et de pipistrelles communes est découverte derrière le bardage d’un bâtiment d’Orcières (Champsaur) par des scientifiques partenaires du Parc. Petit hic : des travaux sur ce même bardage sont prévus en début d’année suivante… Averti à temps, le Parc national a pu préconiser des adaptations au projet et réaliser un suivi des travaux afin de garantir le conservation de ce gîte. De l’autre côté du parc, le gîte de la colonie de petits rhinolophes d’Entre les Aygues (Vallouise) a fait l’objet de nombreuses actions, toujours en cours, pour garantir la conservation de la colonie.
Les agents du Parc sont également mobilisés ponctuellement pour vérifier l’absence de chauves-souris quand des travaux sont prévus sur des ouvrages susceptibles d’en accueillir. Les gardes-moniteurs de l’Oisans-Valbonnais ont par exemple été sollicités à deux reprises en 2024 : par le Département de l’Isère pour expertiser un pont à Saint-Christophe-en-Oisans, puis par la Mairie d’Ornon pour examiner un bâtiment communal. Pour les gîtes situés dans des propriétés privées, le Parc national met parfois en place des conventions « Refuge pour les chauves-souris » avec les propriétaires, sur la base du volontariat, pour garantir leur pérennité. Ces conventions sont réalisées en coopération avec le Groupe chiroptères de Provence et la Société française pour l'étude et la protection des mammifères.
Et puisque protéger, c’est aussi faire connaître, les agents du Parc national réalisent chaque année des animations dans les écoles du massif, avec, à la clé parfois, l’installation de gîtes artificiels. Du côté des professionnels du territoire, une formation sur les chauves-souris réunissant hébergeurs touristiques et accompagnateurs en montagne a été organisée en 2024 dans le cadre de la marque Esprit parc national.
La science à la rescousse
Conscients du manque flagrant de connaissances sur les chauves-souris, scientifiques et chercheurs se sont emparés du sujet. Dans le massif des Écrins, plusieurs études menées avec des associations, des bureaux d’études ou des laboratoires de recherche, sont achevées ou en cours. L’étude des colonies du collège du Bourg d’Oisans, réalisée il y a une dizaine d’années, et de l’église de Châteauroux-les-Alpes, débutée fin 2024, sont les deux plus grosses études menées à ce jour dans les Écrins sur les chauves-souris.
Le secteur du Pont du Prêtre (Valbonnais) fait également l’objet d’une étude, tant pour la colonie qui y vit l’été que pour les suspicions de swarming à l’automne. Sur ce sujet, un partenariat est en cours avec l’Université Paris Cité ; les étudiants analyseront les données déjà recueillies par le Parc. Une autre étude locale a été menée en 2024 sur une colonie grands rhinolophes à Champcella (Vallouise), pour étudier la proportion de mâles et de femelles selon la période de l’année. Car ce gîte présente une caractéristique étonnante : c’est un gîte estival, mais dans lequel aucune reproduction n’a jamais été observée. Des études scientifiques ayant prouvé l’existence de colonies composées quasi-exclusivement de mâles – phénomène assez rare –, cette hypothèse est envisagée. Pour lever le mystère, des analyses génétiques sur le guano sont en cours.
En parallèle de ces études locales, des travaux scientifiques à plus large échelle sont conduits dans le parc national. En 2019, des avancées génétiques ont permis de distinguer une nouvelle espèce de murin, le murin cryptique, jusque là confondu avec le murin de Natterer. Pour mettre à jour l’aire de répartition de ces deux espèces et connaître leurs caractéristiques écologiques, une étude génétique est en cours sur la base de guano récolté dans les gîtes connus du massif.
Cette année toujours, le Parc national a accueilli des scientifiques dans le cadre du programme AltiChiro, qui vise à mieux connaître les chauves-souris de montagne. Un mât de mesure acoustique a ainsi été installé au col de Freissinières à près de 2 800 mètres d’altitude. En deux mois de suivi, il a déjà permis de mettre en évidence une nouvelle espèce dans le parc, la grande noctule, une espèce capable de faire plus de 100 kilomètres en une nuit de chasse !
Compléter l’inventaire des différentes espèces de chauves-souris présentes dans le massif des Écrins est également l’un des objectifs du Parc national. En plus d’apporter un appui aux scientifiques, les agents du groupe opérationnel chiroptères réalisent eux-mêmes des inventaires, en installant des gîtes artificiels ou en utilisant des enregistrements acoustiques. Ils participent également à des opérations plus larges, comme le grand inventaire d’Explor’Nature en juillet 2025. Si vous habitez une commune du parc national et que vous hébergez des chauves-souris dans votre grenier, votre cave ou derrière vos volets, n’hésitez pas à prendre contact avec eux. Ils pourront identifier à quelle espèce appartient vos invités et vous conseiller pour que la cohabitation se passe au mieux !





