
S’il n’y a guère plus que dans un bureau ovale que le réchauffement climatique est farouchement nié, les alpinistes observent et vivent presque quotidiennement ses conséquences sur les glaciers et hauts sommets. Diverses recherches issues du laboratoire EDYTEM mettent en lumière depuis plusieurs années maintenant les conséquences de ce réchauffement sur la stabilité de nos montagnes : la fissuration du refuge de la Pilatte (Duvillar et al. 2018), les multiples effondrements dans le massif du Mont-Blanc (Ravanel et al. 2013) et les impacts sur l’économie de la haute montagne (Mourey 2019).
Le recul des glaciers est la conséquence la plus visible du réchauffement en altitude.
Leur retrait fragilise par ailleurs le maintien de certaines falaises. Un phénomène couplé et accentué par la fonte du permafrost de paroi (la couche de glace scellant les roches en profondeur) qui offre depuis quelques années de spectaculaires effets : effondrement des Drus (2005), de l’arête des Cosmiques (2018) – certainement une des voies d’alpinisme les plus parcourues au monde – mais aussi dans les Écrins, à La Meije (en août 2018) et plus récemment dans l’impressionnante face nord de l’Olan (le 1er septembre 2019).
Pics de chaleur à 3 600 m !
La reine de ce massif – La Meije – a connu son plus spectaculaire effondrement en… 1964. Mais le temps et l’impression de stabilité sont passés par là. On en avait presque oublié que l’érosion ne prend jamais sa retraite. En 2017, le refuge du Promontoire prend dans les flans quelques blocs de granite obèses (Travaux au refuge du Promontoire - septembre 2017), le tout heureusement sans irréparables conséquences.
L’année suivante, en 2018, c’est cette fois une partie du pic du Glacier Carré qui s’effondre sur le glacier éponyme, tranchant net le cheminement de la voie normale. Une cordée composée d’un guide et de son client a dû être évacuée – là encore sans conséquences graves.
Ainsi, l’itinéraire « historique » de la traversée de La Meije est devenu difficilement praticable. Pour s’adapter à ces nouvelles conditions, les guides étudient de nouveaux passages. En lien avec le Parc national, des solutions sont recherchées sans avoir recours à des équipement artificiels, au plus près de la nature de la haute montagne.
Au bord du glacier Carré, dans l’axe de l’effondrement de 2018, un jardin naturel de haute altitude est suivi depuis plusieurs années. A la limite supérieure de la vie, plusieurs espèces de plantes se développent sur la marge du glacier, suivant docilement son retrait (Un jardin suspendu à plus de 3 600 m - 2015)
Des capteurs de température enregistrent ainsi, depuis 2015, les températures au ras du sol, à hauteur de vie de ces étonnantes habitantes. Si l’effondrement a réduit en miette une partie de ce « jardin » et l'un des capteurs, un second a pu être récupéré par Benjamin Ribeyre, membre du bureau des guides de La Grave, observateur impliqué de la situation de ce sommet mythique et, depuis peu, président de la Compagnie des guides Oisans-Ecrins (voir son article : Eboulement à la Meije dans alpine mag.fr - octobre 2018 et celui publié dans la revue américaine "Alpinist" : Melting Giants : La Meije, Massif des Ecrins, France).
Cédric Dentant, botaniste au Parc national des Écrins, a analysé les résultats de ces enregistrements qui sont tout à fait saisissants : « alors qu’à l’été 2017, les températures – bien qu’élevées – n’avaient pas dépassé les 40°C, à l’été 2018, les pics supérieurs à 40°C ont été légion, atteignant même un maximum de 49°C ! »
Certes, il faut garder raison, « ces températures ne sont pas celles classiquement enregistrées par nos stations météo » précise t-il, car « nous sommes ici au ras du sol, sur une roche sombre et donc s’échauffant avec beaucoup d’efficacité. Ces températures n’en demeurent pas moins des témoins de l’environnement immédiat des plantes en présence. Et de l’impressionnant réchauffement mesurée à 3 600 m d’altitude. »
A l’instar du Mont-Blanc, des capteurs adaptés à l’étude du permafrost ont été placés en 2019 sur quelques sommets des Écrins par Florence Magnin et son équipe (laboratoire EDYTEM toujours) et ce, afin de tenter de mieux prévoir les effondrements à venir.
Conditions et probabilités d'effondrement
Les mesures relevées corroborent de récents résultats obtenus dans le Mont Blanc. "Nous avons modélisé un profil de température de la surface jusqu'à la niche d'arrachement pour 209 écroulements et avons fait une analyse statistique des résultats" explique Florence Magnin. "On remarque que les écroulements se produisent, en moyenne, après 20 à 30 jours de température exceptionnellement haute à la surface, conjugués à 1 à 5 jours de pic de chaleur juste avant l'évènement".
Les chercheurs préparent une publication sur ce sujet. S'ils n'ont pas encore trouvé la formule magique pour prédire exactement quand la pratique de la montagne pourrait être plus dangereuse, leurs travaux ouvrent une voie pour des calculs de probabilité d'écroulement.
En attendant, la reine de l’Oisans ne perd pas de sa splendeur. Sa fragilité témoigne simplement et tristement de la destruction à grande échelle de notre planète. Jusque quand ?
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Des glaciers du monde aux effondrements alpins : ça chauffe... Novembre 2018
=> Presentation - Permafrost - écroulements rocheux - nov 2018 - Ravanel Mourey - Edytem
Ecouter l'interview de Julien Charron, chargé de mission "Glaciers, sports de nature" à l'antenne de la RAM : Alpinisme et réchauffement climatique