Sur les traces du blanchon

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L'analyse des crottes de lièvre collectées dans un vallon de l'Embrunais a permis d'identifier génétiquement 11 individus. Testé l'hiver dernier, le protocole pourrait s'étendre à différents sites de référence dans les Écrins, voire à l'échelle des Alpes, pour connaître l'abondance de cette espèce emblématique... mais très discrète.

Le lièvre variable est une espèce emblématique des Alpes et du Parc national des Ecrins. Pourtant, bien peu d'entre nous ont eu l'occasion d'apercevoir cet animal discret. D'où son nom latin de timidus ?

Nocturne, blanc l'hiver et marron l'été, le "blanchon" est difficile à observer.  Il laisse pourtant de nombreux indices de sa présence : traces, crottes, abroutissement sur la végétation...

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Jusqu'alors, aucune méthode fiable ne permettait de suivre l'évolution des populations dans les Alpes. Les études conduites par Michel Bouche pour le Parc national des Écrins dans les années 1980 (1) et par l'ONCFS dans les années 90 et 2000 à Vars (05) n'avaient  pas donné de résultats dans ce domaine : les faibles densités, le mimétisme, l'absence de manifestation sonore et les mœurs nocturnes rendent impossible tout comptage. Quant aux indices abandonnés par cet animal, leur abondance rendent leur interprétation difficile...

Les précisions de la génétique

C'est l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, avec les travaux de Jessica Charrier dans la réserve de Ristolas en 2009, qui ouvre de nouveaux horizons : l'analyse génétique des crottes permet de relier les prélèvements à un individu. L'analyse de données selon la méthode dite de capture-marquage-recapture (2) permet ensuite d'estimer l'abondance du lièvre variable sur le site de collecte des crottes.

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L'analyse génétique  permet de relier chaque crotte à un individu.

Une étude a été engagée dans le Parc national des Ecrins en appliquant ce protocole destiné à suivre l'abondance des populations de lièvre variable.

Elle apporte également des informations sur la répartition de cette espèce et sa cohabitation avec le lièvre européen, l'utilisation du milieu et l'espérance de vie des individus.

Michel Bouche, technicien patrimoine dans l'Embrunais, a été chargé de sa mise en oeuvre dans le prolongement naturel des travaux qu'il avait menés dans les années 80 sur cette espèce dans le parc national des Ecrins.

Un site de plus de 2000 ha, situé entre 1450 et 2700 mètres d'altitude et correspondant à une population, a été choisi dans l'Embrunais pour cette étude.

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Cinq journées de prospection en skis de randonnée entre janvier et avril 2013 ont permis de récolter 122 échantillons.

Le choix d'une récolte de crottes en hiver répond à plusieurs avantages. "Outre l'augmentation des déplacements des animaux à cette période et donc la dilution de la répartition des crottes dans l'espace, elles sont aussi bien plus visibles sur la neige" explique Michel Bouche.

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"Avec les chutes de neige, des indications sur la datation des crottes sont alors possibles. De plus, les températures froides permettent une meilleure conservation de l'ADN et des crottes fraîches. Enfin, il n'y a pas de reproduction en hiver. Les effectifs sont donc stables hormis la prédation et la mortalité naturelle en hiver".

L'analyse génétique des crottes a été effectuée par un laboratoire spécialisé près de Lyon. Les résultats sont de très bonne qualité pour des crottes, en raison d'un prélèvement rapide après une chute de neige sur du matériel déjà congelé. Beaucoup d'échantillons sont donc exploitables : sur les 122 échantillons, 106 sont positifs.
Ils ont permis d'identifier 25 empreintes génétiques différentes. Chaque lièvre possèdant une empreinte génétique unique, les analyses statistiques préliminaires indiquent que ces 25 lièvres se répartissent en deux groupes : 14 lièvres sont  proches génétiquement du lièvre européen et les 11 autres sont  proches génétiquement du lièvre variable.

Répartition et cohabitation

Les premières analyses spatiales montrent une grande cohérence dans ces résultats sur la répartition des deux espèces en hiver. Les lièvres européens ne se rencontrant qu'aux altitudes les plus basses du parcours (l'observation la plus élevée se situe à 1780 m d'altitude, en avril).
Pour le lièvre variable, l'altitude la plus basse relevée est de 1515 m, en février et en avril : 3 animaux différents sont concernés par ce site de nourrissage.

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On constate également que les espaces utilisés par chaque animal se recoupent, ce qui confirme que le lièvre variable n'est pas territorial.
Les premiers éléments sur les effectifs recensés, qu'il conviendra d'affiner par analyse des taux de "recapture", sont également cohérents avec les données disponibles dans la littérature, c'est- à-dire de l'ordre de quelques animaux pour 100 ha.

11 lièvres sont donc identifiés comme des lièvres variables. 4 d'entre eux n'ont été contactés qu'une seule fois, 3 ont fait l'objet de 2 contacts, 3 ont été contactés 3 fois et 1 l'a été 4 fois. L'analyse (*) devrait permettre d'estimer l'effectif de lièvres présents sur le site au cours de l'hiver 2012-2013.

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Le dessin de polygones entre tous les pointages de chaque individu, donne une idée de l'espace utilisé par un individu au cours de l'hiver, mais aussi au cours des quelques jours qui suivent une chute de neige : cette taille peut atteindre plus de 150 ha avec près de 3 km d'amplitude, et les déplacements d'un animal peuvent dépasser 2,5 km en quelques jours.

La suite du projet consiste à préciser le protocole de collecte des crottes, puis à terme de disposer d'autres sites de référence dans le parc national des Ecrins mais aussi dans les Alpes. "L'objectif est d'estimer l'abondance des lièvres variables et de suivre l'évolution de cette abondance pendant plusieurs années consécutives, afin de pouvoir mettre en place une gestion des populations de cette espèce gibier".

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carte-postale-faune-livre-blanc(1) « Le lièvre variable dans le massif des Écrins », Michel Bouche, Les documents scientifiques du Parc national des Écrins (1989)

(2) La méthode dite de capture-marquage-recapture (CMR) sur un échantillonnage aléatoire de crottes faisant l'objet d'une analyse génétique permet d'estimer l'abondance du lièvre variable sur des sites de référence.

Lire la fiche ressources "Jeunes découvreurs"' sur  "Le lièvre variable"

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