Un jardin suspendu à plus de 3600 m

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Au risque de se répéter : la biodiversité spectaculaire n'est pas l'apanage des zones tropicales. Nos hautes montagnes aussi portent des espèces d'une rare richesse biologique. L'une d'entre elles - la renoncule des glaciers - parce qu'elle croise aussi la petite histoire de l'alpinisme, mérite assurément une attention particulière.

Lorsque pour la 3ème ascension de la Meije, en 1878 (après que la seconde eut été ravie par W. A. Coolidge), Paul Guillemin découvre, en compagnie de Pierre Gaspard (guide de La Bérarde), un petit jardin suspendu, il ne note que trois espèces – grêles, de surcroit : la saxifrage à feuilles opposées (Saxifraga oppositifolia), l'éritriche nain (Eritrichium nanum) et la linaire alpine (Linaria alpina). Mais pas de renoncule des glaciers...

Renoncule des glaciers @ Cédric Dentant - Parc national des Ecrins

En 1886, toujours en compagnie de l'inoxydable Pierre Gaspard, Joseph Mathieu, membre de la section lyonnaise du Club Alpin Français, relate sa découverte : "[...] j'aperçois une magnifique renoncule glaciale à fleur blanche, que Gaspard m'offre, en souvenir de notre passage. Cette espèce, recueillie à une altitude de 3 800 mètres, forme la quatrième à ajouter au jardin de la Meije". Voilà la première observation de l'espèce, il y a 129 ans.

Renoncule des glaciers au Glacier Carré @ Cédric Dentant - Parc national des Ecrins Or, depuis, le glacier carré perdant de sa surface, la renoncule des glaciers a pleinement colonisé l'espace rocailleux laissé vacant. Plusieurs centaines de ses fleurs sont visibles lorsqu'on rejoint le bivouac éponyme (dit aussi de "Quatrefage et Guillemin"). A 3 650 m d'altitude, entre parois abruptes et glacier, comment cette espèce fait-elle pour non seulement être présente mais y vivre et s'y développer ?

Afin de mieux comprendre cette étonnante plante des hauteurs, un programme de suivi a été mis en place mi-juillet par le Parc national des Ecrins : quatre capteurs de lumière, température de surface et température du sol ont été installés.

L'objectif est de comprendre plus finement les conditions physiques qu'affrontent durant toute l'année la renoncule, que ce soit au niveau de ses racines (qui ne meurent pas) ou des parties aériennes (dont les bourgeons passent l'hiver au ras du sol) et de pouvoir estimer la vitesse à laquelle elle colonise la roche mise à nue par le retrait glaciaire.

Capteurs "lumière" et "sol", renoncule des glaciers @ Cédric Dentant - Parc national des Ecrins Capteur de lumière installé @ Cédric Dentant - Parc national des Ecrins

D'autres espèces ont été "équipées" de la sorte dans des conditions également plutôt difficiles : la saxifrage fausse-mousse (Saxifraga bryoides), laquelle pousse sur quelques centimètres de débris rocheux en plein coeur du glacier Noir. La glace vive n'est qu'à une dizaine de centimètres sous la surface.

S'ancrer aux glaciers ne nécessite ainsi pas toujours piolets et crampons.

Le Doigt de Dieu, pic central de la Meije @ Cédric Dentant - Parc national des EcrinsCédric Dentant (PNEcrins) et Sébastien Lavergne (CNRS) - écologie verticale © Refuge du Promontoire