Lièvre variable : la génétique au service des gestionnaires

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Le lièvre variable © R. Chevalier - Parc national des Ecrins
Depuis 2013, dans un contexte de réchauffement climatique, le lièvre variable fait l'objet d'une attention particulière au Parc national des Écrins. L'analyse génétique et la géolocalisation des crottes permettent d'identifier d'autres types de menaces pour cette espèce emblématique si discrète.

Apparu en marge des glaciers, parfaitement adapté au froid, le lièvre variable semble immédiatement menacé par le réchauffement climatique.

Pourtant, cette espèce très plastique est toujours présente en Irlande, loin des zones froides qu'elle affectionne. Piégée par la montée des océans après le recul des glaciers de la fin des périodes glaciaires du quaternaire, elle a su s'adapter à un climat océanique et à des températures douces.

Au final, le danger n'est sans doute pas là. «Le réchauffement climatique favorise d'autres espèces qui, en montagne, peuvent s'installer en plus haute altitude» analyse Michel Bouche, technicien patrimoines au Parc national, qui coordonne le suivi de cette espèce emblématique dans les Écrins. « C'est le cas du lièvre d'Europe que l'on observe de plus en plus haut, y compris en hiver.»

Un cousin menaçant ? 

Le lièvre d'Europe peut concurrencer le lièvre variable, dans l'espace mais surtout d'un point de vue génétique, car les deux espèces peuvent s'hybrider. Les femelles de lièvre sélectionnent les mâles les plus gros. Or, le lièvre d'Europe étant plus lourd que le lièvre variable, « il existe un vrai risque d 'introgression, c'est-à-dire de remplacement du génome du lièvre variable par le génome du lièvre d'Europe. Cela conduirait à la disparition du lièvre variable »  résume Michel Bouche.

Lièvre d'Europe. Lepus europaeus © D. Fiat - Parc national des Ecrins Lièvre variable.Lepus timidus © R. Chevalier - Parc national des Ecrins
Le lièvre d'Europe (à gauche) est plus gros que le lièvre variable (à droite, un jeune lièvre variable).

Pour comprendre ce qui se passe, il est donc nécessaire de connaître l'évolution numérique des populations de lièvre variable et de suivre les génomes des deux espèces de lièvres.

Protocole et analyse

Depuis 2011, il est possible d'étudier le génome de ces espèces à partir de leurs crottes. Cette étude novatrice a été appliquée pour la première fois en 2013 par le Parc national des Écrins sur le site de Mikéou, commune de Réotier. Les résultats, inédits, ont permis d’estimer les effectifs des populations de lièvre d'Europe et variable.

Au cours de cette étude, les animaux ne sont pas capturés physiquement. Il n'y a donc pas de dérangement pour la population. Un protocole de collecte des crottes de lièvre a été mis au point au cours d'itinéraires répétés à ski en hiver. Les fèces sont prélevées, géolocalisées et congelées en attendant leur analyse.

L'hiver présente de nombreux avantages pour réaliser cette opération :

  • Traces et fèces de lièvre variable © M. Bouche - Parc national des Ecrins Traces et fèces de lièvre variable
  • Les chutes de neige rendent les collectes indépendantes les unes des autres, ce qui est nécessaire pour les calculs statistiques.
  • Les crottes sont plus fraîches et on peut les dater sommairement
  • Elles sont plus visibles sur la neige et la collecte est facilitée
  • La probabilité de contacter les animaux augmente avec

    les déplacements plus importants des lièvres à cette période.

  • Le froid conserve l'ADN et les analyses donnent plus de 95% de résultats positifs contre 60% en été.
  • Enfin il n’y a pas de reproduction en hiver ce qui rapproche la situation de populations "closes", hypothèse nécessaire à l’application des calculs selon la méthode de capture/marquage/recapture.

Une population stable sur Réotier

Le protocole décrit précédemment et l'analyse statistique associée ont permis de montrer une population de lièvres variables stable sur la zone d'étude de Réotier, autour d'une vingtaine d'individus ces dernières années. Pour autant, les densités observées (1 à 2 animaux par kilomètre carré) sont plus faibles qu'en Suisse et qu'en Savoie où des études similaires ont débuté en 2016.

"Les résultats nous montrent également que ces populations se renouvellent par moitié environ chaque année et que l'espérance de vie des lièvres variables ne dépasse pas 5 ans".

Evolution des effectifs de lièvre variable estimés sur la zone d'étude de Mikéou - Parc national des Ecrins
Evolution des effectifs de lièvre variable estimés sur la zone d'étude de Mikéou

Des crottes de lièvres géolocalisées

Collecte de crottes de lièvres  - Parc national des Ecrins En plus d'estimer l'effectif de la population, l'étude mise en place sur Réotier permet de comprendre d'avantage l'utilisation de l'espace par les lièvres variables grâce à la géolocalisation des crottes de lièvres.

Au cours de l'étude, la moyenne des surfaces occupées en hiver est estimée entre 50 et 60 ha, mais cela varie largement d'un individu à l'autre.

Le lièvre variable n'est pas une espèce territoriale, c'est-à-dire qu'un individu partage très souvent son espace de vie avec d'autres lièvres.

Présent en haute altitude comme en milieu forestier, son lieu de vie ou "biotope" est varié à l'exception des zones très ouvertes et sans abri (arbres ou rochers). On parle d'espèce ubiquiste.

A chacun son altitude

La récolte des crottes de lièvre nous permet de comprendre la répartition sur le terrain des deux espèces au cours du temps.

Pour l'instant, le lièvre variable occupe les zones les plus hautes. Le terrain d'études commençant à 1400 mètres, aucun individu n'a été croisé en-dessous de cette altitude.

Le lièvre d'Europe se rencontre à des altitudes plus basses et peut monter jusqu'à 1800 mètres d'altitude en hiver. Il est possible aujourd'hui de le croiser de façon accidentelle jusqu'à 2000 voire 2500 m d'altitude comme ce fut le cas au cours de l'hiver 2015-2016.

Limite altitudinale supérieure du lièvre d'Europe entre 2013 et 2016 - Parc national des Ecrins

Répartition lièvre variable / lièvre d'Europe en 2014 - Parc national des Ecrins

Une conclusion encourageante

Pour l'instant, sur le site de Mikéou, rien ne conforte l'hypothèse d'une hybridation des deux espèces de lièvre. En effet, depuis le début de l'étude, aucune crotte analysée n'appartient à un individu hybride.

« Tous ces résultats sont encourageants et ont permis de mieux connaître l'espèce localement » résume Michel Bouche. Mais pour avoir une vision globale de son devenir et envisager d'éventuelles mesures de gestion et de conservation, il serait nécessaire d'étendre cette étude à de nombreux autres sites sur l'arc alpin. Ainsi le projet de suivi des populations s'est étendu en Isère et en Savoie en 2016, et s'étendra en 2017 à la Haute-Savoie et à la Drôme.

Blanchon - R.Chevalier - © Parc national des Ecrins Lire aussi

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