Etude du barrage naturel du lac Lauvitel

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Une triple approche pour mieux comprendre la formation du barrage naturel du Lauvitel.

Vue sur le lac Lauvitel et son barrage depuis la réserve ©Y. Braud

De 2003 à 2005, Romain Delunel, alors étudiant à l'institut de Géographie Alpine de Grenoble, a étudié le barrage du Lauvitel afin d'en définir l'origine. Il a utilisé successivement la géomorphologie, la géochronologie et la géophysique pour démontrer que le lac s'est formé suite à un éboulement massif s'étant déposé il y a environ 4000 ans sur une moraine glaciaire pré-existante.

Le lac Lauvitel, situé à 1 500 mètres d’altitude lorsqu’il est au plus haut, est abrité derrière un barrage naturel constitué d’un chaos de blocs culminant à 1 550 m dans sa partie ouest.

De nombreux scientifiques ont publié au sujet de ce barrage depuis 1898 mais sans aboutir à un consensus. Certains auteurs défendaient l’idée de la formation du lac derrière une puissante moraine formée par le glacier du Lauvitel. D’autres optaient pour la constitution du barrage par les matériaux issus d’un éboulement en masse, ou écroulement, ayant affecté le versant situé en rive gauche du vallon.

C’est dans ce contexte que Romain Delunel, étudiant à l’Institut de Géographie Alpine de Grenoble, a initié en 2003 une étude géomorphologique du barrage du Lauvitel afin de comprendre de quelle façon et à quelle époque il s’est formé.

Ce travail s’inscrit dans l’objectif actuel de mieux connaître les facteurs de stabilité des lacs anciens formés par un dépôt d’éboulement, afin de répondre aux problématiques liées à des mouvements de versant de grande ampleur. Ces mouvements seraient susceptibles, à terme, de barrer des vallées importantes et de produire des phénomènes catastrophiques de débâcle en cas de rupture du barrage.

Observations et réalisation d'une carte géomorphologique

La première partie du travail a consisté en des observations du barrage, et de l’ensemble du vallon du Lauvitel.

En observant le barrage depuis Pied Moutet, au Nord du vallon, on remarque distinctement une succession d’aval en amont de trois bourrelets, chacun étant constitué d’une zone de forte pente dirigée vers le Vénéon et d’un replat plus ou moins marqué.

Vue sur l'éboulement ©R. Delunel

La morphologie du versant du Rochail surplombant le barrage est quant à elle caractéristique des pentes des niches d’arrachement des éboulements rocheux. Située entre 1 750 et 2 200 m d’altitude, elle présente des inclinaisons de pente à plus de 45° sur 500 m de large.

Ce sont ensuite les différentes roches composant le barrage qui ont été observées afin de tester l’hypothèse selon laquelle le barrage serait constitué de matériaux morainiques. Pour simplifier, le versant situé en rive gauche du Lauvitel est constitué de granites, tandis que la rive droite est composée de gneiss. Or, on retrouve en partie aval du lac, à l’emplacement du barrage, des blocs de granite identiques à ceux du Rochail, situé en rive gauche. Ils s’étalent jusqu’au versant opposé et sont la preuve d’un éboulement de masse. Un éboulement a donc eu un rôle prépondérant dans la formation du barrage, du moins en surface.

De plus, la présence de blocs fracturés de type « puzzle-rock » (voir ci-dessous), caractéristiques des éboulements de masse, vient confirmer cette hypothèse.

Puzzle-rock ©R. Delunel

Une première carte géomorphologique du site a ainsi pu être tracée.

Un éboulement vieux de 4 000 ans

Une deuxième session de mesures a eu pour but de dater l’éboulement et de retracer la chronologie de mise en place des blocs.

Pour cela, les spécialistes peuvent retracer la période que la roche étudiée a passé dans sa position actuelle, et surtout avec son exposition actuelle. Ils mesurent (non initiés accrochez-vous) les isotopes de 10Be produits in situ par rayonnement cosmique dans le quartz des blocs éboulés et de la niche d’arrachement. Ils estiment ainsi le temps minimal d’exposition du rocher aux rayonnements cosmiques.

L’éboulement du Lauvitel est ainsi daté à 4 017 ± 356 ans. Il a donc eu lieu au cours du Subboréal Moyen, soit plus de 5 500 ans après la déglaciation complète des grandes vallées alpines, estimée généralement à il y a 10 000 ans.

On peut imaginer un scénario, même hypothétique, Niche d'arrachement ©PNE quant à l’évolution du versant du Rochail qui a conduit au déclenchement de l’éboulement :

  •  Les glaciations successives ont contribué à mettre en place un réseau de fractures à l’intérieur du versant du Rochail.
  • Le retrait du glacier lors de la déglaciation a ensuite contribué, par un phénomène de décompression, à l’intensification de la fracturation au sein du massif. Puis, les fractures se sont ouvertes progressivement en rendant précaire la stabilité de certains compartiments.
  •  Enfin, l’augmentation des précipitations au cours de la période du Subboréal sur ce versant particulièrement fracturé a favorisé les infiltrations, augmentant les pressions interstitielles jusqu’à ce qu'un mouvement soit initié.

Voir les dessous du barrage grâce à la géophysique

C’est ensuite une analyse géophysique qui a été réalisée, afin d’estimer l’épaisseur de la masse éboulée et d’identifier la nature du soubassement du barrage.

Un courant électrique est envoyé dans le sol afin de mesurer la résistivité électrique, Matériel de prospection électrique ©R. Delunel qui dépend de la porosité de la roche traversée. On peut ainsi identifier la nature des roches ou des formations géologiques. Par exemple, une formation lacunaire telle que la masse éboulée composée de blocs de granite présentera une plus forte résistivité car le courant électrique passera moins bien au travers.

Deux profils de résistivité ont aisi été réalisés. Pour en simplifier l'interprétation, on peut considérer que les zones de fortes résistivité situées en surfaces, colorées de jaune à violet, correspondent à l'éboulement. Les zones vertes ou bleues sont des formations de faible résistivité, probablement morainiques. Les zones de fortes résistivité plus profondes sont certainement liées à des erreurs de manipulation. 

Localisation des profils de tomographie ©R. Delunel

Profil 1 ©R. Delunel

Profil 2 ©R. Delunel

Les deux profils de tomographie électrique ont donc permis de mettre en évidence que la masse éboulée constitue une couche d’une cinquantaine de mètres d’épaisseur au maximum au niveau de la digue principale du barrage et qu’elle s’interrompt vers 1 330 m d’altitude au pied du bourrelet intermédiaire. De plus, la masse éboulée recouvre des matériaux morainiques d’épaisseurs variables.

Cependant, deux profils de résistivité électrique ne sont pas suffisants pour identifier correctement l’épaisseur réelle formée par le dépôt d’éboulement et pour connaître la topographie originale sur laquelle il s’est mis en place. Il est donc impossible de calculer le volume que constitue ce dépôt. Cependant, au regard des volumes éboulés allant de 47 millions à 75 millions de m3 reconstitués à partir de l’analyse de la niche d’arrachement, il paraît impossible que le dépôt situé au niveau du barrage représente autant de matériaux. La masse s'est donc vraisemblablement propagée beaucoup plus en aval.

La datation à 3 707 ± 571 ans d’un bloc de granite situé au niveau des Escallons et dont la morphologie est caractéristique des blocs éboulés du dépôt amont confirme cette hypothèse : une partie des matériaux éboulés se sont propagés sur une plus longue distance jusqu’à la confluence Lauvitel – Vénéon.

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