Le site de Saint-Hilaire, à Ancelle, abrite l'une des plus importantes populations de sonneurs à ventre jaune du département avec Embrun et Saint-Eusèbe-en-Champsaur. Le déclin régional important de cette espèce, son classement en annexe II de la directive européenne Habitats faune flore en font une espèce patrimoniale prioritaire du Parc national qui, dès 2003, a entrepris des suivis de populations et des actions de protection.
Un suivi photographique des sonneurs
« Le sonneur a cette originalité de posséder des dessins ventraux qui sont propres à chaque individu, un peu comme nos empreintes digitales » explique Marc Corail, garde-moniteur dans le Champsaur.
Pour étudier une population, estimer ses effectifs, ses déplacements, sa survie... il suffit de capturer, photographier puis relâcher sur place chaque sonneur rencontré.
En fonction du taux de reprise d'individus déjà connus à chaque comptage, on peut, avec une méthode de traitement statistique (CMR pour Capture Marquage Recapture), estimer l'effectif total d'un site. A Saint-Hilaire, ce protocole, validé par Aurélien Besnard du Centre d'Écologie fonctionnelle de Montpellier est conduit par les gardes du secteur à raison de 5 passages par printemps, depuis 2003. A ce jour, 95 sonneurs ont été identifiés en 10 années de suivi du site.
« A chaque passage, on ne trouve que très peu de nouveaux. On doit être assez proche de la population totale qui ne doit guère dépasser 120 à 140 individus » analyse Marc Corail.
L'urgence d'une protection
"Chaque printemps, lors des comptages, nous trouvons quelques individus dans le fossé longeant la route de la Martégale, là même où doit être aménagé un accès au nouveau lotissement" explique Marc Corall.
La population de sonneurs risquait donc d'être impactée à sa marge par les travaux. "Une application stricte de la réglementation aurait pu imposer une procédure de dérogation de destruction d'habitat du sonneur qui, comme son cousin l'alyte accoucheur, bénéficie d'une protection renforcée depuis 2007. La commune voisine de Saint-Léger en fait d'ailleurs actuellement l'expérience".
L'arrêté ministériel du 19 novembre 2007 vise à protéger les habitats du sonneur et donc à interdire les aménagements susceptibles d'avoir un impact négatif. Obtenir une dérogation de destruction d'habitat est une procédure longue et contraignante, parfois impossible, et qui doit être validée par le comité scientifique régional de protection de la nature.
« Là, on est vraiment à la marge et la procédure aurait été excessive » analyse Marc Corail. « Le risque d'ailleurs était surtout que des sonneurs au comportement pionnier colonisent les terrassements du lotissement pendant les travaux, ce qui aurait provoqué un blocage du chantier en cours ».
Du bons sens de l'organisation, en amont
Marc Escallier, le lotisseur, a été alerté par l'ONEMA. Il a souhaité agir le plus en amont possible en faveur de la protection de l'espèce. "Cela fait partie des contraintes que l'on a l'habitude de prende en compte" explique t-il. "On est conscient du besoin et cela fait partie de notre travail de faire avec l'environnement d'un site, que ce soit dans le cadre de la loi sur l'eau ou de l'archéologie préventive. Il faut en passer par là, c'est normal. Ce qui compte, c'est de le prévoir et d'organiser le chantier en conséquence pour ne pas perdre de temps ensuite".
Sur les conseils du Parc national, de l'ONEMA et du Conservatoire des Espaces Naturels (CEN PACA), des mesures d'accompagnement ont été élaborées et mises en place, dés la sortie de l'hiver, avant le réveil des sonneurs.
Temporairement, une barrière à amphibiens ceinture le site du lotissement pour en empêcher l'accès aux sonneurs.
Parallèlement, 7 mares ont été aménagées sur des terrains communaux de la zone d'étude afin d'éloigner les batraciens de la zone de travaux. Début mai, en quelques jours seulement, les aménagements montraient leur efficacité et les nouvelles mares étaient déjà colonisées.
"On a pris le temps de faire ce qu'il fallait. C'est vraiment un bonne expérience. C'est le bon sens qui prime et qui permet que tout se passe au mieux. Le surcoût est alors minime dans l'économie globale d'un tel projet" résume Marc Escallier, satisfait de pouvoir mener cette réalisation dans de bonnes conditions.
Ces travaux s'inscrivent également dans le cadre du Plan national de Restauration du Sonneur à ventre jaune et dans le cadre de l'Inventaire Départemental des Zones Humides réalisé par le CEN PACA qui pointe les zones humides d'Ancelle comme l'un des sites majeurs du département.
Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier
« De part son écologie, le sonneur diffère totalement de ses cousins, crapauds communs ou calamites. Ces derniers peuvent compter des populations de plusieurs centaines, voire de milliers d'individus comme on a pu s'en rendre compte récemment sur l'opération de sauvetage de Pelleautier menée par la LPO ou bien encore sur celle de Libouse conduite par la commune de Saint-Léger» explique Marc Corail.
« Pour le sonneur, 100 individus représentent déjà un effectif conséquent. Ce batracien est une espèce pionnière qui affectionne les points d'eau temporaires où il est à l'abri de la prédation par les poissons. Plutôt que de pondre en masse des milliers d'œufs comme la grenouille rousse ou le crapaud commun, il se limite à déposer quelques œufs, de ci de là, au gré des trous d'eau tout au long de la saison. Une ornière ou un empreinte de sabot de vaches dans une prairie humide peuvent même parfois suffire à sa reproduction ».
Si l'assèchement prématuré des lieux de ponte représente un risque important, l'absence de prédation laisse ensuite une bonne chance aux têtards survivants d'atteindre l'âge adulte.
Le sonneur compense ce risque par une forte toxicité qui dissuade encore sa prédation, ainsi que par une grande longévité : « Début mai, les deux premiers sonneurs à coloniser les mares tout juste en eau, étaient déjà connus et photographiés adultes en 2003. 12 ans, c'est un âge respectable pour de si petites bêtes ».
Si cet aménagement est pris en charge pour l'essentiel par l'aménageur, encore une fois, le coup de main de naturalistes bénévoles de la commune, pour la mise en eau du site, a été une aide précieuse.
Dans l'esprit de la charte
« Il vient en outre compenser, un déclin naturel du site où l'on observait de moins en moins de sonneurs ces dernières années. En effet, le terrain marneux est très mobile, des mares se forment et se déforment au gré de micro-glissements de terrains et globalement les meilleurs sites de ponte ont progressivement disparu engloutis par le torrent d'Ancelle.
Par ailleurs, en 2003, lors du raccordement de la commune à la station d'épuration de Chabottes, un poste de relevage des eaux usées avait été aménagé à côté du site.
Durant les travaux, des sonneurs avaient massivement colonisé le chantier pour, au final, se voir ensevelis sous les déblais une fois le chantier terminé. Il est vrai que, depuis, la loi de 2007 est passée par là et qu'à l'époque nous avions peut être trop tendance à constater, après coup, les dommages à l'environnement et pas assez l'habitude d'anticiper auprès des communes et des aménageurs. A la décharge de la commune, sur le site de Pont-la-Saulce, le sonneur occupe en partie une ancienne... décharge. Encore un paradoxe du sonneur à ventre jaune ».
Pour Marc Corail, ce projet est un exemple des enjeux de la charte du Parc national et du partenariat qu'elle doit engendrer. "Il est important que les habitants s'approprient le sonneur comme l'un des patrimoines naturels de la commune. « S'approprient » au sens figuré bien sûr car, pour cette espèce rare et protégée, le transport, la capture, la détention sont interdits tout autant que la destruction.
En revanche, rien n'interdit de faire une petite mare dans son jardin ou son centre de vacances, d'éviter les poissons si l'on souhaite privilégier les amphibiens... et de laisser faire le temps et la nature ! ».
Faire connaître la richesse des milieux humides : c'est aussi l'enjeu des « mares pédagogiques relais » du Réseau Éducation Environnement 05 et Écrins (ici à Vars).
Lire aussi :
Le sauvetage des crapauds de la retenue de Libouse - avril 2014
Avant l'agrandissement de cette réserve collinaire, à Saint-Léger-les-Mélèzes, les amphibiens ont été « déménagés », avec l'aide de bénévoles, dans une mare de substitution. A terme, celle-ci servira de noyau de recolonisation, notamment pour le petit crapaud accoucheur, protégé jusque dans son habitat.
La plaine des sonneurs
A Embrun, la plaine du Roc abrite une importante population de sonneurs à ventre jaune. Ce petit crapaud, rare et protégé, fait l'objet de suivis, de mesures de protection et d'actions de sensibilisation grâce à l'implication de tous les partenaires concernés.