Au cœur du glacier rocheux du Laurichard

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Glacier rocheux du Laurichard © Parc national des Ecrins
Avec plusieurs types de mesures réalisées, et ce depuis les années 1980, c'est un site de référence, à l’échelle alpine et mondiale, pour étudier ce type de glacier particulier, indicateur de la présence de pergélisol sur les versants de montagne.

Le glacier rocheux du Laurichard : une langue d'éboulis gonflée de glace sur 600 m de long et 40 mètres d'épaisseur.

Glacier rocheux du Laurichard © Parc national des Ecrins

Situé à une heure de marche du col du Lautaret, entre 2 650 et 2 450 m d'altitude et au pied d'une haute paroi exposée au nord, l'origine et le maintien du glacier rocheux, bien loin des glaciers « normaux », sont permis par le gel permanent du sol : le pergélisol (ou permafrost).

A l'intérieur du glacier rocheux, se cache un mélange de cailloux et de glace, protégé des chaleurs estivales par 4 à 5 mètres de cailloux.

Glacier rocheux du Laurichard © C.Albert - Parc national des Ecrins Glacier rocheux du Laurichard © C.Albert - Parc national des Ecrins

En moyenne, le glacier du Laurichard se déplace chaque année d'environ 40 cm dans sa partie haute, de 1,60 m dans sa partie centrale (la plus raide) et de 5 cm dans sa partie basse. Une sacrée dynamique pour ce qui ressemble à première vue à un éboulis figé… Et l'augmentation des vitesses mesurée depuis une vingtaine d'années (avec une forte accélération depuis 2008) laisse penser que le réchauffement du climat a déjà un impact notable sur le glacier rocheux.

Si l'on sait tout cela, c'est parce que, depuis bientôt 40 ans, des chercheurs se sont intéressés aux mouvements de ce glacier et à ses relations avec le climat.

Qu'est-ce qu'un glacier rocheux ?

Glacier rocheux du Laurichard © Parc national des Ecrins Un glacier rocheux est une masse de débris rocheux contenant de la glace en quantité suffisante pour que le « mélange » s’écoule sur la pente sous l'effet de la pesanteur. Les vitesses, bien plus lentes que celles des glaciers, sont de l'ordre de quelques décimètres à quelques mètres par an. Contrairement aux glaciers, les glaciers rocheux ne voient pas leur front reculer, ces derniers ne peuvent que progresser vers l'aval : certains, âgés de plusieurs milliers d'années, atteignent plusieurs kilomètres de long !

Dans les Alpes françaises, on trouve plusieurs milliers de glaciers rocheux, couvrant plusieurs centaines de km² : un inventaire est en cours par les services du RTM (service de "Restauration des Terrains en Montagne", de l'Office National des Forêts) et les universités de Grenoble et de Chambéry.

Les glaciers rocheux ressemblent à une coulée de lave : bourrelets et sillons convexes vers l’aval, talus raide (40° de pente) les limitant, en apparence figés ; c’est le « fluage » de la glace qui est à l’origine du mouvement et donc des morphologies spectaculaires souvent rencontrées.

Le gel permanent du sol, pergélisol ou permafrost, est souvent à l'origine des glaciers rocheux et, dans tous les cas, il permet leur maintien et leur fonctionnement. Certains glaciers rocheux se forment aussi aux dépens des moraines et renferment des glaces mortes, « abandonnées » par des glaciers.

Glacier rocheux du Laurichard © C.Albert - Parc national des Ecrins

Les conditions favorables au pergélisol et aux glaciers rocheux se rencontrent, dans les Alpes, généralement à partir de 2 400 - 2 500 m d'altitude en ubac, et 2 800 m en adret, avec une fréquence plus marquée dans les parties sèches (Alpes internes) où les glaciers sont relégués à plus de 3 000 m (Engadine, Vanoise, Briançonnais, Queyras, etc.)

Sous quelques mètres de débris rocheux, la glace apparaît, sous forme massive (avec des strates de plusieurs mètres d’épaisseur) ou sous forme interstitielle, enrobant les blocs, avec des proportions très variables (de 10 à plus de 60 %).

Glacier rocheux du Laurichard © C.Albert - Parc national des Ecrins Les études montrent que cette glace s'est formée il y a plusieurs siècles, voire plusieurs milliers d'années. Le retrait des grands glaciers du « Dernier Maximum Glaciaire » (il y a environ 12 000 ans, quand les glaciers atteignaient Lyon) est généralement considéré comme la période d'initiation des glaciers rocheux dont certains, les plus bas, ont pu depuis devenir inactifs, voire fossiles.

La glace ayant un comportement « visco-plastique » (voir les glaciers classiques), elle peut s’écouler selon la gravité, à partir du moment où les cailloux ne sont plus en contact les uns avec les autres : les glaciers rocheux se déplacent ainsi vers le bas en moyenne de quelques décimètres à 1 ou 2 m par an.

De nombreux glaciers rocheux sont « fossiles » : ils ne contiennent plus de glace, ne bougent donc plus mais la forme reste visible dans le paysage (à l'inverse des glaciers « classiques »), avec des confusions parfois possibles avec les moraines. « Dans les hauts versants du Briançonnais ou du Queyras, à plus de 2 000 m, les glaciers rocheux fossiles ou encore partiellement actifs peuvent couvrir plus de 30 % des surfaces » indique Bernard Francou, et jouent un rôle (encore mal connu) dans l’hydrologie de ces bassins car ce sont des formations poreuses qui peuvent alimenter des aquifères importants.

Peu connus du grand public, les glaciers rocheux ont intéressé les géomorphologues, les géologues et les glaciologues. Le plus ancien article scientifique sur le sujet, américain, date de 1910 et l'étude « fondatrice » de 1959.

L’intérêt pour ces formes s’est accru dans les années 1970, avec des travaux déterminants effectués par les Suisses et les Allemands en Engadine. En France, les premières études systématiques datent de la même période (1970-1980), des thèses leur sont consacrées et on commence à y faire des mesures répétées.

Ces travaux ont été initiés par Bernard Francou et Louis Reynaud (à Laurichard), par Michèle Evin (en Haute-Ubaye), puis poursuivis par Xavier Bodin (Combeynot et Laurichard) et Sébastien Monnier (Vanoise) depuis les années 2000.

Les universités de Grenoble (UJF), de Chambéry (Savoie) et le Parc national des Ecrins ont pris une part importante dans ces travaux qui se poursuivent actuellement.

Pourquoi et comment étudie-t-on le glacier rocheux de Laurichard ?

Au début des années 1980, Bernard Francou a eu l'intuition qu'il serait intéressant de mesurer le déplacement du glacier rocheux de Laurichard  pour quantifier sa « dynamique »  : à quelle vitesse il s'écoule, à quel rythme il « exporte » les produits de l'érosion des parois rocheuses qui le surplombent…

 Luc Moreau, Denis Fabre, Bernard Francou, Louis Reynaud, François Valla, Hervé Cortot. 6 des glaciologues qui se sont penchés sur le glacier du Laurichard L'idée était aussi de relier cette dynamique au climat. Avec le glaciologue Louis Reynaud, ils ont installé plusieurs lignes de blocs peints, dont ils ont mesuré précisément la position pendant plusieurs années.

Ils ont également effectué les premiers sondages géoélectriques (mesure de la résistance électrique du sol) pour mettre en évidence la présence de glace.

Sur la photo ci-dessus : Luc Moreau, Denis Fabre, Bernard Francou, Louis Reynaud, François Valla, Hervé Cortot : six glaciologues qui se sont penchés sur le glacier du Laurichard, réunis en 2013 par le Parc national des Ecrins lors d'une conférence à Villar d'Arène.

A la fin des années 1990, ce suivi a été confié au Parc national des Ecrins, sous la responsabilité d'Emmanuel Thibert qui, désormais chercheur à l'IRSTEA, continue d'assurer une mesure annuelle par théodolite et depuis quelques années par GPS, des déplacements de la surface du glacier rocheux.

Bernard Francou, glaciologue Emmanuel Thibert, chercheur IRSTEA Xavier Bodin, glaciologue
Bernard Francou, Emmanuel Thibert et Xavier Bodin

Glacier rocheux du Laurichard commenté

Mesures sur le glacier rocheux du Laurichard dans le Parc national des Ecrins Mesures sur le glacier rocheux du Laurichard dans le Parc national des Ecrins - photo Christine Barachet

Depuis le début des années 2000, d’autres mesures, mises en place par Xavier Bodin et Philippe Schoeneich, sont venues en complément : température du sol (enregistrée en continu), autres sondages géoélectriques et, plus récemment, suivi à haute résolution par laser terrestre (LIDAR) et par photographie de l'évolution de la géométrie du glacier rocheux.

Ce concentré de mesures fait du Laurichard un site de référence, à l’échelle alpine et mondiale, pour étudier les glaciers rocheux.

Mesures sur le glacier rocheux du Laurichard dans le Parc national des Ecrins

Quel avenir pour les glaciers rocheux : stabilisation ou emballement ?

Parc national des Ecrins, glacier du Laurichard « Les mesures de température du sol faites depuis 2003 permettent de mieux comprendre les relations entre le climat et la dynamique du glacier rocheux » explique Xavier Bodin. Notamment, « l'enneigement est un élément crucial pour la « santé » du glacier rocheux : pour des températures de l'air similaires, un hiver peu enneigé, donc sans « manteau isolant », aura pour conséquence un refroidissement nettement plus fort que si le manteau neigeux est conséquent (supérieur à 1 m). »

Les mesures annuelles de blocs constituent une série de mesures unique en France, et l'une des plus anciennes dans les Alpes et dans le monde. Ces mesures permettent d'analyser l'effet du climat sur la dynamique du glacier rocheux. C'est l’un des thèmes d’étude de Xavier Bodin : on voit une accélération de l'écoulement du glacier dans les années 1990 suite à l’augmentation des températures de l'air, avec un pic en 2004, suite à la canicule de 2003 et à l'hiver bien enneigé 2003-2004 ; ensuite un fort ralentissement en 2005 et 2006, avec des hivers peu enneigés, et à nouveau une accélération depuis 2007.

« Ce type de comportement est observé, à quelques nuances près, sur presque tous les glaciers rocheux des Alpes sur lesquels sont réalisées des mesures » souligne le chercheur, indiquant qu'un signal climatique commun est bien à l'origine de ces changements de vitesse d'écoulement.

Mesures sur le glacier rocheux du Laurichard dans le Parc national des Ecrins - photo Xavier Bodin Avec la poursuite du réchauffement climatique, il est intéressant d’étudier la réponse du glacier rocheux de Laurichard, et des milliers d’appareils semblables. Existe-il des glaciers rocheux en équilibre avec le climat actuel ? Peut-on envisager une stabilisation progressive des glaciers rocheux, suivie de leur « fossilisation », comme cela s’est produit au cours des premiers millénaires de l’holocène pour les appareils aujourd’hui fossiles, et à quelle échéance ?

Ou bien, une recrudescence des déstabilisations de glaciers rocheux est-elle à attendre, comme certains cas récents recensés dans les Alpes (cas du Bérard, en 2006) le suggèrent, ce qui ne ferait que « prolonger » l'évolution des accélérations observées ces dernières années ? Et si cette tendance se confirme, quels seront les risques pour les sociétés alpines et leurs infrastructures ?

Seul le maintien d’un programme d’observation à long terme peut permettre de répondre à ce type de questions, et à d’autres que l’on se pose sur ces formes qui restent encore pleines de mystères.

Carte géomorphologique laurichard - X-Bodin
Le contexte géomorphologique dans la combe de Laurichard, montrant notamment l'emprise dans le paysage des glaciers rocheux et des éboulis. b) Les dispositifs permettant le suivi du glacier rocheux de Laurichard (sphères pour les mesures par LiDAR terrestre, et blocs marqués pour les mesures annuelles par GPS).

Graph - Xavier Bodin - glacier rocheux du Laurichard - vitesse 1980-2015
Evolution, depuis 1983, des vitesses annuelles de surface du glacier rocheux du Laurichard (courbes grises = blocs individuels, courbe rouge = moyenne), de la température moyenne de l'air et des températures à la surface du sol sur le glacier rocheux de Laurichard. Source : Bodin et al., 2015, Revue de Géographie Alpine.​

Graph - Xavier Bodin - glacier rocheux du Laurichard - vitesse 1980-2015

 Cartographie des déplacements de surface sur la partie terminale du glacier rocheux du Laurichard, déduite de la comparaison entre des données obtenues en 2005, 2006 et 2011 par LiDAR terrestre. Source : Bodin et al., 2012, conférence Optech.

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